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 King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil]

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Narcisse E. Céphise Narcisse E. Céphise
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MessageSujet: King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil]   King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil] EmptyMar 11 Nov - 22:04







King of the Ghost Train









« Un dépravé sait mieux porter le masque d'un saint. »
Dontcho Tzontchev

La salle était comble et l'air enfumé. A travers les volutes troubles et les lueurs orangées diffusées par des lampes au style ancien, on distinguait moins les traits des silhouettes se mouvant dans la grande salle que l'éclat de leurs vêtements tous plus exubérants les uns que les autres. Le tableau était étrange : un furieux mélange d'ancien et de moderne qui avait de quoi irriter les pupilles les moins raffinées. On y voyait d'aguicheuses demoiselles aux tenues écarlates et frôlant l'indécence, repoussant hypocritement les avances d'un ou deux gaillards tout de cuir vêtus, des hommes effacés, se tenant, un verre à la main, assis dans un coin de la pièce, comme pour ne pas recevoir de balle dans le dos ; des serveuses à la voix rauque et rieuse ; des couples lancés dans une danse folle et jazzy... et quelques enfants, aussi. Il faut croire qu'il n'y a pas d'âge pour être un débauché.

Soirée masquée. Il n'y avait pas mieux pour exciter l'enthousiasme de Dame Lorenzetta, qui y voyait vraisemblablement une excellente occasion pour traîner son maître jusqu'aux tréfonds de la luxure, et tout cela incognito. Enfin, pour s'y employer ; car pervertir celui qui aime déjà d'un amour si inconditionnel, n'est pas si facile qu'on le croit. Surtout si cet amour est dirigé vers sa propre personne.

Le Quartier 1 ? Quelle idée de s'aventurer dans un tel bourbier, alors que le Sixième suffisait au plaisir des yeux ? A choisir, Narcisse préférait nettement les marais du Styx à un tel étalage de chairs débauchées. Pourtant, il fallait reconnaître que l'idée du masque le séduisait. Il le portait déjà fréquemment - pure fantaisie esthétique - ; mais ce soir-là, il s'était permis une plus grande extravagance, et le masque qui lui recouvrait toute une moitié du visage resplendissait, renvoyant les reflets des éclairages rougeoyants.

Les silhouettes se mouvaient dans l'ombre, jouets d'une fantasmagorie à la fois répugnante et pleine de charme. Tout ici brillait par le surplus, par l'excès. Excès de boisson ; excès de mouvement ; excès de sons, de d'odeurs, de sensations ; vertiges du Tout, pour tenter d'oublier, momentanément du moins, le Rien.

Narcisse venait de pénétrer dans la pièce, suivant Lorenzo qu'il avait, pour cette fois, reconnu comme son guide. Pour se soir, les rôles allaient s'inverser. Il se laissait immerger de ces sensations qui semblaient l'assaillir toutes à la fois, lui qui était habitué à un type d'excès bien différent. Attentif, il calquait son pas sur celui de son protégé. Pourquoi était-il venu ? Qu'allait-il donc chercher en ces lieux de perdition ? Il avait, cette fois, accepté de partager un pan de la vie souterraine de son compagnon, et ne pouvait s'empêcher de ressentir une once de satisfaction à la pensée que Renzo allait bien où il le souhaitait ; mais, pour ce soir, pas sans Lui. Il se sentait pénétrer la vie de son ami dans ses moindres recoins. Quand ce dernier ne pourrait-il plus se passer de sa présence ? Cependant, dans son esprit qui allait trop souvent à sens unique, le grand Narcisse omettait de se poser la question inverse...

Malgré la sécurité de son masque, on risquait à chaque seconde de le reconnaître, de mettre un nom sur ce visage aux traits graciles, et si cela se produisait, sa réputation ne serait plus assurée. A propos de sécurité... l'annonce faite par Gray au bal qui avait eu lieu quelques jours auparavant ne semblait pas inquiéter le public du cabaret, trop anxieux de renoncer à ces plaisirs coupables pour se préoccuper du risque pesant apparemment sur lui. Narcisse, quant à lui, se voyait comme une cible potentiellement privilégiée par ces angéliques entités ; qui qu'elles soient, elles ne pouvaient pas ne pas convoîter son enveloppe charnelle. Pourtant, il ne s'en inquiétait guère et n'y pensait même pas. Il faudrait être idiot ou bien faible moralement, pour se laisser posséder par un Saint.

Lorenzo finit par le mener au centre de la mêlée. Toujours dubitatif, malgré une curiosité légèrement piquée, Narcisse regardait les danseurs et les buveurs se mouvoir autour de lui, comme acteurs d'une pièce savamment orchestrée. L'atmosphère avait beau séduire un brin son esprit mystique, il n'en remarquait pas moins la vacuité de telles activités, et n'avait aucune envie de se joindre à cet entourage qu'il jugeait bien bas. Il plongea son regard dans celui de son mignon jeune homme, jouant d'une main distraite avec une mèche de ses cheveux rouges, et demanda sans hausser le ton :

- Et maintenant, Renzo ?

Un point, derrière son interlocuteur, attira son attention. Un visage connu : celui du guide des Enfers, un verre à la main, regardant vaguement dans leur direction, les yeux semblant perdus dans un vide quelconque. L'Orgueilleux tiqua, détourna vivement son regard, ne présentant plus que son profil bien dessiné à l'homme qui, peut être, les avait vu. Qui de plus à même de reconnaître un Slender, qu'un autre Slender ?




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Lorenzo de Médicis Lorenzo de Médicis
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MessageSujet: Re: King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil]   King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil] EmptyMer 12 Nov - 18:54













Concilier deux mondes inconciliables - une très mauvaise idée. Lorenzo ne l'ignorait pas, et pourtant, lorsqu'était venue quelques jours auparavant l'annonce d'un bal masqué au cabaret, cette pensée lui était immédiatement apparue. La fantaisie qui prenait quelquefois Narcisse de dissimuler son visage aux regards indignes, et peut-être une remarque récente de son ami quant à ses fréquentations, avaient achevé de le convaincre. La plus élémentaire prudence, ou le seul souci de sa tranquilité d'esprit, aurait dû sans doute l'en dissuader, mais la vision de son seigneur et maître errant dans son monde à lui n'en finissait pas de le séduire. Il y avait quelque chose d'infiniment délicieux à faire se heurter ces deux décors : l'immense froideur de la cathédrale, élevée au Christ ou au Gourou, ce temple de solitude tout entier voué à l'adoration d'un seul être, et la chaleur rougeoyante du cabaret, où l'individualité se perdait dans l'indifférenciation des sens trop sollicités. La beauté religieuse et la beauté pécheresse - Lorenzaccio avait depuis bien longtemps choisi sa maîtresse, quoique la belle délaissée lui gardât des attraits de tombeau.

Il ne s'était pas attendu, cela dit, à ce que Narcisse se laisse convaincre si facilement. Il imaginait quelque agacement, un peu de bouderie peut-être, mais certainement pas un accord si délibéré. Envie de se découvrir dans un nouveau décor, avait-il supposé, bien que, au vu de sa dernière facécie - éblouissante réussite ! -, il aurait plutôt pensé que les visions nouvelles seraient plus que jamais désagréables à son cher protecteur. Mais enfin Narcisse avait accepté, et il fallait se réjouir. Le regard que le Slender promenait sur l'assemblée alors qu'ils traversaient la foule était, il fallait bien l'avouer, un pur délice pour Lorenzo, qui ne se donnait plus la peine de contempler les charmes du lieu pour se contenter de ceux, infiniment plus fascinants, du nouveau venu.

Il aurait tant aimé retrouver le goût inimitable de la toute première visite, la découverte délicieuse et terrifiante d'un monde si différent du sien - mais il avait eu beau, et à tant de reprises, inhaler les parfums des effets de fumée, du cuir des tenues, des capiteuses parures, se réapproprier même les parfums de la sueur, du vin et des corps qui viennent de jouir - odeur familières depuis bien plus longtemps que celles du cabaret -, il n'avait jamais été capable de retrouver le souvenir fondateur, ni l'effroi qui à coup sûr avait dû l'accompagner. Il doutait, cependant, que cette descente au premier quartier produirait le même effet chez Narcisse. Pour le tuer ce n'était pas le goût de l'orgie qu'il fallait flatter chez lui, mais le goût de lui-même.

Enfin ils s'immobilisèrent, au milieu de la foule. Sous l'éclairage, d'un doré rougeoyant, le masque du Gourou lançait des éclats semblables à ceux d'un bijou. Il s'agissait sans doute plus d'une parure que d'une dissimulation ; il le couvrait qu'une moitié de son visage, et laissait le monde, à moitié digne seulement, se repaître d'une moitié de sa beauté. Un mince sourire étira les lèvres de Lorenzo sous le loup de velours noir lorsque les doigts de son ami glissèrent dans ses cheveux.

- Et maintenant, Renzo ?

"Et bien, nous nous mêlons à la foule, et nous trouvons une table. Je suppose que tu ne voudras pas danser."

Il fut distrait un moment lorsque, lui aussi, une silhouette familière plus hardie que les autres accrocha son regard ; une brune à la taille tendre, qui l'embrassait sur la joue, à qui il murmurait quelques mots. Lorsqu'elle s'éloigna, ses yeux revinrent à Narcisse, et il se retourna pour suivre son regard. Oh- Il sourit à son protégé de la soirée.

"La pâleur te sied. Devons-nous te trouver un nouveau nom pour ce soir, une nouvelle identité ?"

Narcisse autre que lui-même - voilà qui devrait être intéressant. Une idée lui vint, il la chassa ; ce genre de chose n'était rien tant que dangereux. D'un geste presque attentionné, il rajusta la position du masque de son ami.

"Je le connais", précisa-t-il d'une voix posée.

Un ami, de ceux qui vous tiennent compagnie jusqu'à la fermeture du bar. Il se retourna vers Virgil ; Lorenzo était parfaitement reconnaissable, vêtu de noir comme à l'accoutumée. Seul le masque sur ses yeux et la fourrure sur ses épaules changeaient de son accoutrement habituel, bien plus sobre. Son compagnon ne débauche, s'il n'était pas trop ivre, ne saurait manquer de le reconnaître, s'il se tournait vers eux. L'idée de faire face à Virgil et Narcisse à la fois lui paraissait terriblement mauvaise - et, donc, terriblement séduisante.




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Virgil Virgil
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MessageSujet: Re: King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil]   King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil] EmptyVen 14 Nov - 22:55



« Masked... Unmasked »


Le cabaret, ou cet autel dressé au culte de l'hypocrisie. Un autel fièrement dressé au sein des terres de la défunte reine d'Egypte. Un autel au parfum de supercherie que l'on ne goûtait nul part ailleurs en ce royaume régis par Cléopâtre. Le sous-sol de Sed non Satiata ne cachait rien de ses ambitions. Le bar à hôtesse, bien que se pavanant dans le luxe, se pavanait aussi bien dans sa luxure. Mais le cabaret, sous ses lumières chaudes et ses teintures aux couleurs orientales, masquait son penchant pour la débauche. Tout du moins il tendait de feindre l'abstinence. Mais ces courbes aguicheuses se balançant sous la mélodie des talons aiguilles claquant, ces regards alambiqués, discret, en un frôlement d'air, et ces sourires lourd de sous-entendus. Un lieu de spectacle, qui, plus que d'étoffer la culture, suscite le désir dans sa définition la plus sensuelle. Et toi, jolie serveuse frôlant le conteur si bien que vos souffles se mêlent un instant, serait-tu en mesure de nier tout cela? L'aura artistique de cet endroit est celui de la débauche, et de la dépravation. Comme partout en ce beau domaine Luciférien, ange déchu pour ses ardents désirs, inassouvissables dans un lieu épargné du vice, le paradis blanc du Père, du Fils, et du Saint-Esprit.

Le conteur entoure un premier shooter de ses doigts.
Once for the Father

Puis il porte le second à ses lèvres.
Twice for the Son

Et en descends un troisième.
Three times for the Holy Ghost


Lieu de perversité, antre démoniaque d'âme en soif de chair et de chaleur. Se faire fable face à la tentation, y céder, puis une chambre, ou même une ruelle sombre peu fréquenté, et le loisir d'assouvir nos plus bas instinct. Aussi simplement. Sans même devoir agiter de l'argent, juste pour le plaisir de la débauche la plus sincère. Mais tout de même, gardez à l'oeil votre fortune, aussi minime soit-elle. Les mains sont baladeuse, et le regard, que chacun dissimule sous un masque, est souvent perfide, généralement avide. Les deux coudes sur le comptoir, le regard se perdant dans les eaux ambrés du whisky que l'on venait de lui apporter, Virgil avait, sur ses lèvres un sourire. Un sourire joyaux d'une alchimie, liant l'amusement le plus sincère, et le mépris le plus grand. Bordel de Dieu qu'il aimait ce vice, cette vie, cette ville, lorsque les grands éther de l'alcool lui grisait l'esprit. Voir ces couillons se faire arnaquer le faisait rire. Voir ces gonzesses se montrer le faisait rire. Voir les mâles jouaient les fier à bras le faisait rire. Voir la caresse, presque fantomatique, d'une main sur une entrejambe le faisait rire. Sentir l'odeur de l'alcool, de la tentation, du vice, de la déchéance, de la sexualité, de la fausseté, de l'insouciance, de l'oisiveté, de la dépravation, le rendait entier. Vivant. Heureux. Cyniquement heureux. Et il voyait alors tout ces crétins, comme à chaque fois d'ailleurs, tel une gigantesque et auguste bande de con. Mais cette fois-ci... Ô grâce à l'alcool, comme à chaque fois d'ailleurs, cela le rendait hilare. Comme un aigle fendant les cieux au-dessus d'une plaine de cloporte sur lesquelles il pouvait à la fois fondre et chier à tout instant. Des cloportes, ouais.

Il n'y avait nulle méprise. A l'origine, il ne voulait pas venir. Les réunions masquaient, sérieusement, c'était soit pour des pédales, soit pour des échangistes ayant quelques tendances sado-masochiste. Nulle méprise. Mais il y avait eu cette fille qui était venu implorer sa présence. Pour quel raison? Il n'en avait pas la moindre idée. Sans doute l'avait-elle mentionné, cette fameuse raison, mais il n'y a pas l'ombre d'un doute qu'il n'avait pas prêté une oreille attentive à ces paroles. Il avait cédé. Il avait posé sur son visage l'un de ces masques que l'on portait généralement à Venise, pour le carnaval. Mais il était étrangement sobre. Il n'avait pas le fantasque des autres, avec leurs paillettes, leurs plumes, et autres frivolités qu'il n'aurait pu supporter. A son époque, les Romains portaient peut-être des jupettes en lanière métallique, mais ils avaient un glaive à leurs côtés. Les époques suivantes ont choisis entre la féminité et la virilité. Adieu le glaive, on garde la jupette. Mais comme c'est démodé, on va mettre des masques aux couleurs criardes pour avoir l'air encore plus con. Gigantesque et auguste bande de con.

Et tout ça pour que cette dite gonzesse, face à son manque d'entrain et sa mauvaise humeur évidente, décide de prendre la fuite, pour aller se vautrer sur les genoux d'un damné qui semblait fier de l'avoir ravis de ses bras. Gigantesque et auguste bande de con, à lui tout seul. Heureusement que ce maudit masque trouvait son achèvement juste au-dessus de ses lèvres, qu'il puisse boire à sa guise. Sans l'alcool, il aurait sans doute déjà déclenché un ouragan dans le cabaret. Explosant en un attentat-suicide. Un attentat à en cramer le cul du Père, du Fils, et du Saint-Esprit.

Le conteur entoure un premier shooter de ses doigts.
Once for the Father

Puis il porte le second à ses lèvres.
Twice for the Son

Et en descends un troisième.
Three times for the Holy Ghost


Pendant un temps, il avait bien penser à partir. Juste partir. Rentrer boire une bière, ou se rendre devant la porte des Enfers, et faire son travail, pour une fois. Mais l'ivresse l'emportait, faisant croitre son mépris, son amusement, son cynisme, et sa curiosité. Lâchant le comptoir, cessant de se faire le pilier de ce qui tiendrait sans lui, il se tournait vers la salle qui s'était un peu plus remplis depuis qu'il avait mis le nez dans ces délicieuses eaux, qui n'avait d'eau plus que la liquidité. Il plissais, sous son masque blanc, les yeux, comme pour affuter, en vain, sa vision rendue trouble par l'alcool. Et sur ses lèvres un sourire. Quel beau monde qu'il venait de retrouver!

Emportant la bouteille de whisky avec lui en quittant le bar, il vint retrouver, titubant légèrement, les deux orgueilleux qui ne pouvait se cacher au Conteur derrière leurs masques pathétique. Narcisse, ou l'homme -ou la femme- qui ferait mieux d'apprendre à nager. Et Lorenzo, le Sancho Panza de Don « J'ai-pas-pied ». C'était merveilleux! Ses bras entourèrent la nuque des deux comparses, agitant alors son trésor d'alcool fraichement dérobé sous le nez du blondinet, sa tête venant volontairement cogner celle de l'Assassin. « Bordel, j'en crois pas mes yeux Lorenzo, t'a réussis à libérer Narcisse de ce fameux balais qu'il avait de coincé dans le rectum?! » Il les libère de son emprise, faisant un pas en arrière pour porter la bouteille à ses lèvres. Et voler, à nouveau, quelques gorgées de cet alcool si bon pour l'âme et le coeur. « Qu'est ce que vous venais foutre là? »



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Narcisse E. Céphise Narcisse E. Céphise
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MessageSujet: Re: King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil]   King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil] EmptySam 15 Nov - 23:37







King of the Ghost Train









« Άνθρωπος φύσει πολιτικών ζώον. »


Il y avait quand même des moments où l'on ne pouvait s'empêcher de mettre en doute les douces paroles du Philosophe. Depuis quelques jours, Narcisse avait la désagréable impression d'aller de mondanité en mondanité, changeant simplement de foule, allant de la subtile clientèle de ce cher "premier homme de l'humanité", à ce vaste carnaval teinté de noirceur et de débauche, en passant par le palais de Dorian Gray, où le degré de retenue était de loin supérieur à tous les autres lieux jusque là fréquentés au cours de cette semaine d'infortunes, ce qui n'avait pas empêché quelques trouble-fêtes de jouer les perturbateurs. Cette soirée au cabaret donnait l'impression de réunir la somme de tous ces dits perturbateurs... au carré. Au cube. Alors non, ne doutons pas du fait que l'homme est bien, par nature, un animal politique. L'homme est un animal grégaire. Un porc-épique.
Mais le surhomme est un albatros survolant de bien haut cet auguste troupeau, de peur de se souiller en l'effleurant. De se piquer. Car depuis une semaine, c'était bien le sentiment qui gouvernait l'orgueilleux. Celui d'être entaché de la présence d'autrui.

Alors pourquoi, pourquoi donc avoir accepté l'invitation de Lorenzo, ce "lendemain d'orgie ambulant" ? Que diable faisait-il là ? Fascination ? Peut être. Résignation, lassitude ? Aussi. Parce qu'on ne pouvait plus être en sécurité nulle part. On se trouvait poursuivi, voire chassé de partout ; même les marais du Styx n'étaient plus sûrs. Il avait fâché Nessie pour de bon, s'était retrouvé en bien fâcheuse posture devant le premier homme et sa dévergondée de soeur... alors, au point où on en était, autant visiter également le quartier 1. On tombe bien bas, mais on creuse encore.
Narcisse aimait aller au bout de lui-même, partant du principe qu'aucune direction prise par son esprit ne pouvait se révéler fausse, ayant eu l'honneur d'être choisie par Lui. Il se complaisait donc actuellement dans ce parfum d'abaissement. Un grand auteur l'affirma : le vertige, ce n'est pas tant la peur de tomber que la fascination du vide ; le désir profond, inconscient, ignoré, de se voir tomber.

"Et bien, nous nous mêlons à la foule, et nous trouvons une table. Je suppose que tu ne voudras pas danser."

Il fit un mouvement de tête en réponse. Parfaitement indéchiffrable.
Danser. Penser. Aucune différence. Le mouvement comme reflet de l'âme. Si, Narcisse aurait voulu danser. Une danse de couple avec lui-même. Entièrement seul.

Mais quoi, se mêler à ces corps frétillants et bien huilés ? Quelle répugnance ! L'orgueilleux y préférait le doux ennui qu'impliquait le fait de s'asseoir, et d'assister à la soirée comme à un spectacle étonnant, sans y prendre part. Mais cette grâce n'allait pas lui être accordée, il en avait le pressentiment. Un seul regard ayant suffit à communiquer à son protégé - qui, ce soir, se révélait être son protecteur - la mesure de son trouble, celui-ci murmura :

"La pâleur te sied. Devons-nous te trouver un nouveau nom pour ce soir, une nouvelle identité ?"

Un nouveau nom ? Pourquoi donc en changer, et ainsi nier en bloc sa précieuse identité ? Pour éviter d'éventuels ennuis, peut être... ainsi, il répondit - peut être un peu agressivement et au quart de tour, mais l'autre ne relevait en général pas face à ces sautes d'humeur, qui devaient lui être familières :

- Le masque ne suffit pas ?

Double prévention. Ne pas laisser voir une trop grande étendue de sa beauté à ceux qui ne le méritent pas ; ne pas voir sa précieuse réputation se dégrader suite à une infortunée soirée, événements trop souvent colportés par moultes mauvaises langues.

"Je le connais", murmura Lorenzo.

- Quel soulagement, répondit Narcisse, ironiquement pince-sans-rire ; belle fréquentation, je n'en attendais pas moins de t....

« Bordel, j'en crois pas mes yeux Lorenzo, t'a réussis à libérer Narcisse de ce fameux balais qu'il avait de coincé dans le rectum?! »


Brusque interruption. Et voilà, le mauvais pressentiment prenait toute sa réalité. Situation délicate, pour changer. Il allait finir par y prendre goût. En un rictus résigné, grinçant des dents, Narcisse murmura rapidement à l'oreille de Lorenzo, en un rapide aparté :

- Je réitère ma question. Et maintenant ?

Le pochtron errant s'était rapidement rapproché, prenant par cette exclamation toute la place possible, à la fois sur la piste de danse et dans l'espace sonore. Narcisse avait l'impression de subir la violente intrusion d'un ego tentant de forcer la bulle immense que formait le sien.

« Qu'est ce que vous venez foutre là? »

Et en plus, il s'adressait à eux comme à des copains-pilliers-de-bars. Remarquons que dans le cas de son jeune ami, c'était sans doute le cas. Mais pas d'amalgame, répétons-le. Narcisse était dans l'ambiance "ne-mélangeons-pas-les-torchons-et-les-serviettes", ce qui était très malvenu dans un lieu comme celui là, où l'on mélangeait tout. Strictement tout.

- Renzo a cru nécessaire de me mettre face, une fois de plus, à l'étendue de ma magnificence en me faisant sentir, par contraste, les relents vaguement putrides de la plèbe débauchée, ce qui en soi n'était pas indispensable. Je suis venu. J'ai vu. Et je ne vais pas moisir ici. Guide infernal, je vous salue.

Il s'inclina très légèrement, faisant le geste de soulever un chapeau invisible. Il avait conscience de la théâtralité grotesque de cette tirade, mais se délectait du contraste que cela créait avec le milieu qui l'environnait. Il fuyait le regard de celui qui l'avait presque démasqué - au sens propre, pas encore, Dieu merci -. Mais tout ici semblait vouloir le retenir. Il fallait les comprendre. On ne se passait pas si aisément d'une présence comme celle-ci.





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Lorenzo de Médicis Lorenzo de Médicis
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MessageSujet: Re: King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil]   King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil] EmptyJeu 20 Nov - 21:11













Quoi que puisse en penser Narcisse, quoi que puisse son cher ennemi s'imaginer de la vie qu'il menait, Lorenzo avait parfois de plus ou moins longues périodes d'abstinence, durant lesquelles son mode de vie touchait à l'ascétisme. Il se tenait éloigné de toute créature du beau sexe (question piège. Quand, comme Renzo, on a développé un certain goût pour tous les sexes, il devient tout à fait difficile de déterminer lequel est le plus joli. Encore faut-il que la joliesse se caractérise par la capacité de plaire à l’œil, auquel cas Narcisse serait sans doute une fréquentation tout à fait dangereuse pour qui veut s'astreindre à l'absence parfaite de désir. il faut donc rectifier comme suit.), ou du moins de toute personne capable, de par son esprit ou de par son corps, d'affaiblir la haine momentanée de Renzo à l'égard des choses de la chair. Il ne buvait pas, non plus, et en arrivait même à oublier de manger ; il avait un corps comme s'il n'en avait point. Il passait alors le temps à lire, passion qu'il n'avait jamais perdue, ou bien à traduire Plutarque. Le grand dieu Pan est mort, mais on sait jamais, ça pourrait être drôle de le retrouver aux Enfers. Ces périodes lui étaient nécessaires, autant que les fugaces moments, toujours renouvelés pourtant, durant lesquels un junkie se persuade de pouvoir réussir sa désintox. Aucune illusion cela dit, mais un besoin, qui revenait entre des laps de temps plus ou moins espacés. Renzo était sorti une semaine auparavant de la dernière, dans laquelle il s'était plongé après une apnée d'une vingtaine d'années, et retrouvait avec délices les joies du Quartier Un. Il avait fêté son grand retour dans le monde des vivants - ou non - en baisant une fille sur l'autel de la cathédrale. Narcisse en aurait été fort contrarié, s'il était venu à le savoir, mais enfin, à grande occasion... Un peu de grandiloquence ne n'a jamais fait de mal à personne, n'est-ce pas. Bien entendu, Lorenzaccio avait une réputation à tenir, et faire de la publicité à ces périodes d'ascétisme, si rares qu'elles soient, ne lui tenait pas à cœur. Il disparaissait donc de la circulation, voilà tout, et allait même - fait extraordinaire ! - jusqu'à priver plus souvent son suzerain de sa présence. De telles dispositions ne tenaient jamais longtemps, une semaine peut-être, deux tout au plus. Ce soir sacrait donc son retour en société, et il n'était pas question de laisser la mauvaise humeur de son agaçant ami gâcher la fête.

- Quel soulagement, belle fréquentation, je n'en attendais pas moins de t....
"Bordel, j'en crois pas mes yeux Lorenzo, t'a réussis à libérer Narcisse de ce fameux balais qu'il avait de coincé dans le rectum?!"

Lequel, de l'agacement ou de l'amusement, l'avait cédé à l'autre - le sourire de Renzo s'était élargi, habitué en effet aux remarques de Narcisse sur son mode de vie. Ce soir, elles étaient la promesse d'une nuit fort distrayante ; et puis, parmi toutes les expressions de Narcisse à son endroit, cet ennui vaguement scandalisé était l'une des favorites de Lorenzo. Quant à l'arrivée façon tornade de Virgil, elle avait transformé le sourire carnassier du Florentin en quelque chose de plus naturel, plus instinctif peut-être. Il laissa sa tête s'entrechoquer un peu avec celle de son ami, puis lui prit des mains la bouteille, pour avaler de longues gorgées d'alcool.

"C'est qu'il fallait faire de la place pour le reste, le balais ne pouvait pas rester là éternellement."

Il ne détestait pas jouer avec les limites - et puis d'ailleurs, le gourou devait bien être habitué à ce genre de piques. Savourant la sensation de brûlure le long de sa gorge, il tendit de nouveau la bouteille à Virgil.

- Je réitère ma question. Et maintenant ?

Une légère inclinaison de la tête, ainsi qu'un regard tout à fait innocent, répondirent au ton furieux de Narcisse.

"Mais nous socialisons, mignon. Tu n'as qu'à prendre ça comme une étude anthropologique. Une visite à tes adorateurs les plus lointains. Tu pourrais même convertir les hérétiques restants à ton culte, si tu y mettais un peu du tien."

Tout cela frisait l'insulte, et Lorenzo balaya d'un geste de la main la réponse qui ne manquerait pas de venir, tout en ayant conscience qu'il ne perdait certainement rien pour attendre.

"Qu'est-ce que vous venez foutre là ?"

Délaissant l'aparté, il revint s'appuyer contre l'épaule du pilier de bar, caressant d'un geste sans ambigüité la bouteille que l'autre avait à la main.

"Sa Seigneurie ayant plusieurs fois manifesté son déplaisir à l'égard de mes fréquentations - c'est-à-dire toi, cher ami, et tes hideux semblables -, je me suis dit qu'il me fallait absolument les lui présenter. Pour qu'il puisse me réprouver en toute connaissance de cause, tu comprends." Son sourire s'agrandit. "Et le service est remarquable ici."

Comprendre : je vais me trouver quelqu'un et finir la nuit entre ses cuisses.
Quoique si Narcisse continuait à vouloir lui échapper, ce ne serait pas une partie de plaisir. En bon courtisan servile, il courut après son joli seigneur, le prenant par le bras pour le ramener à la raison, et vers les fauteuils, puis tourna la tête vers Virgil pour l'inviter à les suivre. Pas question de renoncer à la compagnie de son ami.

"Allons, allons. Tu ne vas pas me forcer à te supplier de rester, hm ? Ne prive pas ces pauvres gens de la seule once de beauté qu'ils verront avant longtemps."




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Virgil Virgil
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MessageSujet: Re: King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil]   King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil] EmptyDim 30 Nov - 22:30



« Justine... »


Ce cabaret donnait, à la chanson, ces plus grandes lettres de sensualité. Le charme des voix, soutenue par les charmes des corps, offrait aux chants une chaleur unique. Et l'ouïe et la vue, s'unissant autour des spectacles, torturaient les âmes masculines, jouaient avec leurs instincts, les poussant de le vice de l'adoration du beau. L'ivresse ne venait plus seulement de l'alcool coulant à flot. L'ivresse venait également de la scène. Quel alcool provoquait alors les plus grandes ravages sur les esprits? Le whisky, ou bien ce corps délicat offrant sa nudité aux yeux de la salle? Les hommes perdaient la raison, dans l'alcool, les exaltations de passions, la nudité. Le conteur, ivre comme tant d'autre, ivre comme toujours, avait, depuis longtemps, perdu toute raison. Et si son regard ne manquait pas de contempler les courbes de cette chanteuse, son attention ne se laissait pas plus happer par la dame que par son breuvage. Les paroles de Narcisse, les dires de Lorenzo, passaient, effectivement, après. Et il songeait que, peut-être, viendrait-il à passer la nuit à faire chanter cette femme-là, si son corps, son coeur, venait à désirer la chaleur d'une femme. Et alors que ses pensées lui venaient, la discussion se poursuivait. Narcisse lui faisant remarquer sa confusion entre les sœurs imaginé par Sade...

« Justine, Juliette, peu m'importe les noms, tant qu'il y a la passion, le frisson. Dans le creux de la nuit, alors qu'elles sont à genoux, ou bien que je viens hanter le creux d'entre leurs reins, l'identité importe peu. Le lendemain, j'oublie leurs noms mais pas les tumultes nocturnes. Qu'importe, Narcisse, le prénom que tu donnes à la pervertie ou à l'ange. Qu'importe la tournure, la forme, tu comprends mon propos... »

Analogie bancale, clair seulement dans les esprits captifs des effluves d'alcool. Narcisse le dominait, de la hauteur de ce tabouret. Le poète déchu, bas dans les conforts de ce canapé, levait la tête pour voir le roi de l'Orgueil. Cette position, sans doute, devait satisfaire son ego. Et combien même cette position pouvait faire penser à une relation de dominant à dominé, le conteur n'avait pas finis de se rire des manières grandiloquentes de ce bon Narcisse. Par delà le Bien et le Mal? Sincèrement, Narcisse. Ton orgueil semble te rendre aveugle quant à ta situation. La cécité, mon ami, voilà peut-être ton mal, et ton bien. Virgil, dans son état d'ébriété, y pensait alors. Cette cécité rendant l'incarnation de l'Orgueil incapable de cerner, dans son intégralité, sa condition. Cette cécité, préservant l'intégralité de son être, protégeant son Orgueil, son air, par des illusions.

Puis Lorenzo, dissertant sur le crime et l'ennui. Le visage du conteur tombait en arrière pour observer les reflets rouges de la chevelure de l'assassin. Le crime te connait, n'est-ce pas, Lorenzo? Le meurtre, la tromperie, la tromperie de l'homme et de l'ennui, c'est ton domaine, n'est-ce pas? Ton paradis au final. L'exaltation de ton être. Tes cheveux sont les cascades de sang d'Alexandre, mon cher ami. Tes cheveux sont les cascades de sang d'Alexandre. A cette cascade, un jour peut-être, un jour que t'offrira l'éternité, viendra se joindre le fleuve d'hémoglobine de Narcisse. Dieu comme l'un, et l'autre, pouvait être amusant aux yeux du conteur, lorsque le whisky chamboulait les matières grises. Mais ne les chamboulait, tout de même, pas suffisamment pour le rendre aveugle quand à la pénurie de whisky. Paresseux par l'alcool, Virgil marmonne dans sa barbe de trois jours, marmonne derrière son masque, usant de son pouvoir pour matérialiser une bouteille dans sa main droite. L'ouvrir, et boire, et donner le nouveau cru au Rouge.

« Ami Narcisse, si ta personne se trouvait par-delà le bien et le mal... que fais-tu donc ici? Ne serais-tu pas in-jugeable par les hommes et par Dieu? Il n'y aurait ni Paradis, ni Enfer pour ta grandeur. Mais ta grandeur, est pourtant bien là, en Enfer... surprenant non? »

Un sourire s'affiche sur les lèvres du poète, cynique, narquois.

« Vice, vertu... je ne vois pas même comment l'on peut encore disserter sur la question. Ce monde n'est que vice. Pas d'équilibre en ce royaume. Dieu récupère les vertueux, Lucifer les viciés. C'est ainsi, et que ça plaise à l'ego, ou non, c'est ainsi. Une fatalité. St Pierre, et Minos, ne se trompe jamais. »




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MessageSujet: Re: King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil]   King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil] EmptyDim 21 Déc - 20:11







King of the Ghost Train









En voilà qui semblaient disposer à s'amuser. A ses dépends. Il était incroyable que Lorenzo, qui avait tout de même parfois le don de mettre Narcisse hors de ses gonds, eut pu rester presque continuellement à ses côtés, ces quelques siècles durant. "Il y a des fois où j'ai envie de te mordre", lui disait-il souvent dans le calme moite d'une alcôve de ses appartements. Comme s'il ignorait toute l'ambivalence de cette imprécation. Autant, parfois, faire mine de marcher dans son jeu, et ne pas s'obstiner à faire l'enfant têtu, buté, et... ridicule. Faire semblant et accorder cette valse si gentiment proposée : c'était peut être la seule attitude apte à désamorcer la répartie dévastatrice de son "protégé", quand il se sentait d'humeur à chercher des problèmes.

Après toutes ces années, il commençait à comprendre. S'il jouait le jeu, tout se déroulait pour le mieux. Mais de quel droit ? De quel droit devait-il se prêter à ces enfantillages, s'abaisser à cette condition qui ne convenait qu'aux sous-hommes ? Ce cher Lorenzo était, lui, totalement protéiforme, et semblait pouvoir prendre le masque de la débauche presque sur commande. Jusqu'à ce que ce masque lui colle à la peau...

"C'est qu'il fallait faire de la place pour le reste, le balais ne pouvait pas rester là éternellement."

Le reste...? Narcisse leva un sourcil et esquissa à peine un soupir, s'étant depuis assez longtemps résigné aux réflexions de ce genre pour consentir à passer outre. L'ironie de son compagnon était à peine dissimulé. Soyons honnête, elle était même criante. Mais Lorenzo ne lui donna pas le temps de répondre et se mit à établir un rapport de connivence extrêmement déplaisant avec le nouveau venu qui brandissait une bouteille à moitié vide - pessimisme, quand tu nous tiens ! - et dont la tête oscillait d'une manière qui laissait deviner un état d'ébriété déjà avancée.

Après sa tirade, Narcisse n'écouta pas le reste et s'éloigna d'un pas grandiloquent, saisissant le bord de sa cape et se drapant majestueusement - et, disons-le, avec un snobisme non dissimulé - dans son orgueil et dans le tissu soyeux. Bien entendu, l'autre ne l'entendait pas de cette oreille. L'idée que les plaisanteries les plus courtes seraient les meilleures lui était sans doute en tout point étrangère, et un sombre pressentiment précéda d'une demi-seconde la pression des doigts de Renzo sur son bras, puis les mots qu'il lui adressa :

"Allons, allons. Tu ne vas pas me forcer à te supplier de rester, hm ? Ne prive pas ces pauvres gens de la seule once de beauté qu'ils verront avant longtemps."

Ironie, encore ? Lorenzo marquait un point. Cela dit, Narcisse se voyait pas de quel droit ces "pauvres gens", ces débauchés, pouvaient se repaître de sa beauté en ces lieux de perdition. Il n'eut pas le temps de délibérer sur le sujet : on l'entraînait déjà vers l'autre extrémité de la salle. Il n'opposa pas grande résistance : comme l'avait très bien vu Lorenzo, l'intention de partir n'était qu'une partie du jeu. Aussi ne répondit-il pas. Les deux amis connaissaient par coeur le protocole tacitement instauré : nul besoin de mots. Les mots ! Les mots ! Les éternelles paroles ! ...comme dirait l'autre.

« Parlons littérature donc, si l'alcool et les seins dénudés heurtent ta vertu, mon doux Narcisse. »

Et nous voilà repartis. La soirée ne faisait apparemment que commencer pour cette bande de pochtrons, et le guide infernal semblait lui aussi tout disposé à s'amuser un peu. Littérature. De quel genre de littérature pouvait bien se repaître un type pareil ?

« Oui, parlons donc de cette chère Justine, rendue si belle sous la plume de notre adoré Donatien de Sade». Rapide échange de bouteille avec son protégé. Narcisse commençait à comprendre où est-ce qu'on cherchait à l'emmener. Il soutint le regard du "conteur" sans tiquer. « Notre belle Justine, marquant l'histoire littéraire en provoquant le frisson des lecteurs, marquant l'Histoire par les obscénités du récit fictif de sa vie. N'est-ce pas un doux exemple? ». Narcisse fit quelques pas vers lui, esquissant un sourire comme pour l'inviter à continuer. Finalement, ce petit jeu allait finir par l'amuser. « Justine, n'est-elle pas l'avatar de ces lieux? Triviale, obscène, malsaine... et pourtant à la magnifique essence? Car assurément, Narcisse, il y a du sublime dans les bas-fond de la perversité. Ton illustre orgueil ne peut nier cette vérité. »

Narcisse éclata d'un rire cristallin et légèrement teinté de mépris. Si c'était à ce jeu là que l'autre voulait l'inviter, eh bien, soit. En plusieurs centaines d'années passées dans les livres au gré de ses envies, il avait eu le temps de s'y préparer.

- C'est un cours de littérature ? S'enquit-il d'un ton ouvertement narquois. Dans ce cas, l'immense Narcisse se permet d'honorer son illustre professeur de ses conseils, car tu apprendras que c'est Juliette la pervertie, et que Justine n'est que sa soeur, un ange de vertu. Il esquissa un geste de la main, comme pour chasser ce personnage de la pièce. Une petite sotte.

Eh oui. Narcisse aussi avait lu Sade.

Il considéra son interlocuteur, laissant pour un moment de côté son joli compagnon qui regardait la scène. Lorenzo voulait du spectacle ? Qu'à cela ne tienne, il fallait lui en offrir. Que le personnage devienne spectateur. Narcisse quant à lui, avait toujours à la fois le sentiment d'évoluer en permanence sur une immense scène de théâtre, et celui d'être le spectateur de la misère d'un monde que sa présence, au moins, éclairait. Sans se départir de son sourire, il alla s'asseoir près de Virgil sur un haut tabouret de bar. De là, il surplombait son interlocuteur et se sentait présider la joute.

- Si ce que tu veux me démontrer ce soir, Conteur, c'est simplement que la vertu ne paie pas, alors tu perds ton temps. Je n'aurais pas eu besoin de ton intervention, brillante cependant, pour le comprendre. Quant à savoir si le crime paie toujours...

Il se retourna sur son siège, parcourut d'un geste de sa main l'étalage de débauche qui sévissait en ces lieux. La chanteuse avait ôté le reste de dentelle noire qui lui couvrait le buste, et ne semblait pas décidée à s'en tenir là.

- Nulle doute que c'est souvent le cas. Le crime paye. La fin justifie les moyens, si la fin te concerne. Mais ce que je vois ici n'est qu'étalage de futilité.

Les gens ont vraiment l'art de perdre leur temps. Et cela empirait dès lors qu'ils avaient l'éternité devant eux. Sans mauvais jeu de mots, aux Enfers, ils étaient tombés bien bas ; alors, ils tentaient de s'envoyer en l'air, au moins métaphoriquement. Tout cela était en effet très... imagé.

- Mais vois tu, il se trouve que pour ma part, Je me situe un peu au dessus de tout "cela."
Nouveau geste de mépris. Je suis, comment dire... "par delà le Bien et le Mal"...?

Narcisse avait lu. Sade. Et Nietzsche aussi. Etalage de chairs, étalage de savoir... qui, ici, pourrait faire la différence ?




HRP: Excusez le temps de réponse ;)



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MessageSujet: Re: King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil]   King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil] EmptyMar 6 Jan - 23:31













Ramener Narcisse parmi eux n’avait pas été bien compliqué ; du reste, Lorenzo ne s’était pas attendu à devoir lutter bien longtemps. Son cher protecteur aimait beaucoup se faire prier – un peu trop, sans doute. Sa sensibilité aux suppliques avait pris la forme d’un jeu entre le seigneur d’Orgueil et son ombre, lassant et toujours répété. Chacun connaissait son rôle, du bout des doigts ; c’était à se demander combien de temps encore durerait la mascarade. Il n’y avait aucun soulagement dans le regard du Florentin lorsqu’il réussissait à plier Narcisse à ses caprices, ni lorsqu’il parvenait à apaiser ses crises de colère ; rien de tout cela n’était difficile. La pièce était jouée d’avance.
Ayant escorté le mythe jusqu’à son siège, il se laissa tomber à son tour dans un fauteuil, à côté de celui de Virgil. Là, il s’enfonça dans le dossier et dans une sombre rêverie. La fille, sur scène, avait les seins lourds, et des hanches de serpent. Elle devait être assez belle. Les voix de ses compagnons de la soirée lui parvenaient de loin, à travers la musique ; c’était Virgil qui parlait, voix éraillée par les siècles – millénaires – d’excès, voix agréable, que Lorenzo avait plus d’une fois laissée s’écouler encore et encore tandis que lui-même s’endormait, le bras sur la table, et le visage au creux du bras. Ses cheveux comme mare rouge, et le verre vide, évidemment. On le resservait même lorsqu’il dormait. Lorsque la bouteille apparut devant ses yeux, il la prit, réflexe, la porta à ses lèvres. Whisky. Il la souleva une deuxième fois, puis une troisième, avant de la rediriger vers Virgil. L’échange était instinctif, gestes trop souvent répétés, au point qu’ils en devenaient naturels. La belle solidarité des poivrots. Alors seulement il tourna la tête vers lui, pour tenter de l’écouter, se forcer à se reconcentrer. Il fallait rester dans le moment ; penser n’était pas au programme, pas ce soir.

Sade. La courbure des lèvres de Lorenzo demeura égale, et il n’inclina pas même la tête, singeant avec l’art consommé de celui qui a fréquenté l’église une écouté attentive. Il n’aimait pas Sade. Sa première lecture l’avait écœuré, chaque viol succédant à chaque sauvetage succédant à chaque viol l’enfonçant un peu plus dans une nausée sale et fourmilleuse, et il l’avait reposé sans l’avoir fini. Une deuxième lecture l’avait conduit jusqu’à la dernière page, mais sans plus de plaisir ; il avait cela dit été capable de discerne la virtuosité littéraire de l’auteur, sans toutefois pouvoir se départir d’un dégoût généralisé. Il possédait l’ensemble des œuvres du marquis, Lorenzaccio devant être Lorenzaccio, mais n’en avait pas lu le quart ; il en avait été incapable. L’homme le plus débauché de son siècle avait pleuré sur les infortunes de la Vertu. J’aurais pleuré avec la première fille que j’ai séduite, si elle ne s’était mise à rire.

Lorsque le verbe changea de bouche, la tête de l’assassin se tourna automatiquement, tandis qu’il s’extirpait, volontairement, avec un effort rouillé, des pensées amères dans lesquelles il s’était laissé glisser. Le spectacle, après tout, valait le détour, Virgil et Narcisse conversant, le vice et la vertu face à face. Quoique si Virgil était le vice par amour du vice, la vertu de Narcisse n’avait rien de pur ; elle ne paraissait être vertu que par désintérêt. Le prince d’Orgueil, en cela, était peut-être aussi tordu qu’eux tous, bien qu’il lui soit si fort plaisant de se persuader du contraire. Il les observa un moment, l’un et l’autre, les yeux gris sous le loup noir s’assombrissant d’instant en instant. Et dire qu’il avait apprécié cette soirée- Et dire qu’il s’était amusé à sa perspective, et dire qu’il avait eu hâte. Combien bas il était tombé. Narcisse existait, aussi insupportable qu’à son habitude, là, juste devant lui, assis sur cette chaise à ce bar, insensé de beauté et de mégalomanie, et- et il existait encore. Il n’était pas renversé, il régnait en gourou, en tyran, il faisait fleurir le sol sous ses pas pendant que Lorenzo jetait du détergeant sur les pétales, sans rien faire de plus. Sans rien faire de plus. Tuer Alexandre ne lui avait pourtant pas pris tant de temps que cela ; il avait fallu lutter contre cette chose au fond de son ventre qui se mouvait comme un serpent, glacial et tortueux, lorsqu’il pensait à leur nuit de meurtre, il avait fallu surpasser le désespoir et la parfaite conscience, lucide et froide, que rien ne changerait, mais- Mais il l’avait fait. Des siècles après cette nuit, des siècles encore après l’arrivée de Lorenzaccio aux Enfers, Narcisse existait, parlait de sa voix insupportablement fate, et Lorenzaccio ne faisait rien. Il le haïssait pourtant, Dieu qu’il le haïssait. Dans deux jours les hommes comparaîtront devant le tribunal de ma volonté. Ce n’était rien, deux jours, et ç’avait été si long. Et voilà qu’il repoussait le meurtre de siècle en siècle. Allez, dans cinq-cents soixante-sept ans, pas après, juré, je le fais. Il était tombé si, si, si bas.

Bouteille reprise à Virgil, bue encore, redonnée. En temps normal, oui, cet étalage de savoir l’aurait émoustillé autrement plus que n’importe quel étalage de chair ; ce soir, Lorenzo avait l’alcool triste. Il fallait donc, par suite, boire plus encore jusqu’à ce que la tristesse même s’évanouisse. La fille sur scène faisait tourner les pompons de ses cache-tétons. La dentelle noire était tombée à ses pieds, aspic qui ne se décidait pas à mordre. Saloperie de bestiole. Elle avait les hanches rondes et les chevilles aigües ; il aurait fallu que quelqu’un les lui embrassât. Son regard se reporta sur Virgil et Narcisse ; il lui fallut quelques secondes avant de réaliser que le gourou de la Cathédrale s’était tu, et que le silence s’étirait. Il eut un lent signe de la main.

« Oui, oui, la fin justifie les moyens- Non. »

Le risque de ne pas écouter – ne pas être d’accord avec son propre assentiment.

« La fin justifie les moyens, mais le crime ne paie pas. Ce sont deux choses très différentes. Le crime est la plus sûre lutte contre l’ennui, contre l’insupportable ennui aux doigts longs, contre l’atroce ennui aux dents qui mordent. Mais quand comme nous nous avons l’éternité, doux sires, comme la vie est lente, et comme l’espérance est violente, et comme le crime est court, tellement, tellement court… L’orgasme arrive bien trop rapidement. Narcisse, tu es naïf. Ni le vice ni la vertu ne payent, en fin de compte. Tout cela n’est que navrantes tentatives pour se détourner de – ma bouteille, cousin, je n’ai pas assez bu. »

Perdue au milieu de l'habituelle logorrhée, l’appellation, à peine consciente, ne s’adressait ni à Virgil, ni à Narcisse, peut-être aux deux, à un mélange des deux, à un absent. Il se pencha pour prendre la bouteille sur la table ; elle était vide.





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MessageSujet: Re: King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil]   King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil] EmptyDim 8 Fév - 21:59



« Justine... »


Ce cabaret donnait, à la chanson, ces plus grandes lettres de sensualité. Le charme des voix, soutenue par les charmes des corps, offrait aux chants une chaleur unique. Et l'ouïe et la vue, s'unissant autour des spectacles, torturaient les âmes masculines, jouaient avec leurs instincts, les poussant de le vice de l'adoration du beau. L'ivresse ne venait plus seulement de l'alcool coulant à flot. L'ivresse venait également de la scène. Quel alcool provoquait alors les plus grandes ravages sur les esprits? Le whisky, ou bien ce corps délicat offrant sa nudité aux yeux de la salle? Les hommes perdaient la raison, dans l'alcool, les exaltations de passions, la nudité. Le conteur, ivre comme tant d'autre, ivre comme toujours, avait, depuis longtemps, perdu toute raison. Et si son regard ne manquait pas de contempler les courbes de cette chanteuse, son attention ne se laissait pas plus happer par la dame que par son breuvage. Les paroles de Narcisse, les dires de Lorenzo, passaient, effectivement, après. Et il songeait que, peut-être, viendrait-il à passer la nuit à faire chanter cette femme-là, si son corps, son coeur, venait à désirer la chaleur d'une femme. Et alors que ses pensées lui venaient, la discussion se poursuivait. Narcisse lui faisant remarquer sa confusion entre les sœurs imaginé par Sade...

« Justine, Juliette, peu m'importe les noms, tant qu'il y a la passion, le frisson. Dans le creux de la nuit, alors qu'elles sont à genoux, ou bien que je viens hanter le creux d'entre leurs reins, l'identité importe peu. Le lendemain, j'oublie leurs noms mais pas les tumultes nocturnes. Qu'importe, Narcisse, le prénom que tu donnes à la pervertie ou à l'ange. Qu'importe la tournure, la forme, tu comprends mon propos... »

Analogie bancale, clair seulement dans les esprits captifs des effluves d'alcool. Narcisse le dominait, de la hauteur de ce tabouret. Le poète déchu, bas dans les conforts de ce canapé, levait la tête pour voir le roi de l'Orgueil. Cette position, sans doute, devait satisfaire son ego. Et combien même cette position pouvait faire penser à une relation de dominant à dominé, le conteur n'avait pas finis de se rire des manières grandiloquentes de ce bon Narcisse. Par delà le Bien et le Mal? Sincèrement, Narcisse. Ton orgueil semble te rendre aveugle quant à ta situation. La cécité, mon ami, voilà peut-être ton mal, et ton bien. Virgil, dans son état d'ébriété, y pensait alors. Cette cécité rendant l'incarnation de l'Orgueil incapable de cerner, dans son intégralité, sa condition. Cette cécité, préservant l'intégralité de son être, protégeant son Orgueil, son air, par des illusions.

Puis Lorenzo, dissertant sur le crime et l'ennui. Le visage du conteur tombait en arrière pour observer les reflets rouges de la chevelure de l'assassin. Le crime te connait, n'est-ce pas, Lorenzo? Le meurtre, la tromperie, la tromperie de l'homme et de l'ennui, c'est ton domaine, n'est-ce pas? Ton paradis au final. L'exaltation de ton être. Tes cheveux sont les cascades de sang d'Alexandre, mon cher ami. Tes cheveux sont les cascades de sang d'Alexandre. A cette cascade, un jour peut-être, un jour que t'offrira l'éternité, viendra se joindre le fleuve d'hémoglobine de Narcisse. Dieu comme l'un, et l'autre, pouvait être amusant aux yeux du conteur, lorsque le whisky chamboulait les matières grises. Mais ne les chamboulait, tout de même, pas suffisamment pour le rendre aveugle quand à la pénurie de whisky. Paresseux par l'alcool, Virgil marmonne dans sa barbe de trois jours, marmonne derrière son masque, usant de son pouvoir pour matérialiser une bouteille dans sa main droite. L'ouvrir, et boire, et donner le nouveau cru au Rouge.

« Ami Narcisse, si ta personne se trouvait par-delà le bien et le mal... que fais-tu donc ici? Ne serais-tu pas in-jugeable par les hommes et par Dieu? Il n'y aurait ni Paradis, ni Enfer pour ta grandeur. Mais ta grandeur, est pourtant bien là, en Enfer... surprenant non? »

Un sourire s'affiche sur les lèvres du poète, cynique, narquois.

« Vice, vertu... je ne vois pas même comment l'on peut encore disserter sur la question. Ce monde n'est que vice. Pas d'équilibre en ce royaume. Dieu récupère les vertueux, Lucifer les viciés. C'est ainsi, et que ça plaise à l'ego, ou non, c'est ainsi. Une fatalité. St Pierre, et Minos, ne se trompe jamais. »




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MessageSujet: Re: King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil]   King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil] EmptySam 21 Fév - 17:45







King of the Ghost Train









Le monde n'est qu'une branloire pérenne, disait Montaigne au siècle de Lorenzo. Et ici bas en effet, rien ne tenait ; tout baignait dans l'incontinence, et ce gouffre, celui de la vacuité, était une béance à laquelle Narcisse ne s'habituaient pas. L'illusion de sa propre nécéssité ne faisait parfois que mettre en relief le caractère douteux de la vérité de la personnalité d'autrui. L'être humain est condamné. Condamné à ne connaître que soi. Sachant cela, l'attitude de Narcisse était la seule qui vaille. Pensait-il.

Mais il y avait des moments où il était repris de ce vertige. Vertige qui n'avait rien d'agréable. Rien à voir avec cette ivresse qu'affectionnaient tant ses camarades de soirée, et que lui, Narcisse, n'avait jamais vraiment connu. Il n'en avait pas besoin. Je n'en ai pas besoin. Son don de persuasion avait la fâcheuse tendance à s'émousser, ces derniers temps. Il ne fonctionnait plus que sur autrui. Je n'ai pas besoin de tout ça. Je n'en ai pas besoin. Cela me dégoûte. Cela est vain. Cela...

Narcisse n'avait aucun doute sur l'inutilité des soi-disant "plaisirs" dont ce cabaret faisait l'étalage. Mais son incapacité d'y prendre part, ne démontrait que l'existence, en lui, d'une quelconque "incapacité"... mot en soi déjà inacceptable. Inconcevable.

L'une des jambes élancées de la danseuse s'enroulait langoureusement autour de la barre qui se dressait sur la droite de la scène arrondie. La fumée, les volutes d'alcool, tout cela ne lui rappelait que trop sa désastreuse expérience, quelques jours auparavant, dans le pub de ce crevard de "premier homme".

« Justine, Juliette, peu m'importe les noms...

Narcisse n'écoutait plus vraiment, ne percevant que des bribes de la tirade du conteur. Quelque chose sur le caractère inutile de l'identité de son partenaire du moment. Pas faux, ça. En règle générale, l'identité d'autrui ne lui importait de toutes façons que peu. Virgil prenait son plaisir et oubliait l'objet qui le lui avait donné, dans l'heure. Narcisse agissait finalement un peu comme cela, en tout point. Mais la question érotique lui était quasiment étrangère.

« Oui, oui, la fin justifie les moyens- Non. La fin justifie les moyens, mais le crime ne paie pas. Ce sont deux choses très différentes...»

Et alors que Narcisse s'était contenté d’acquiescer discrètement, le regard perdu dans le vague, l'autre laissait libre cours à un inconscient vraisemblablement tourmenté. Lorenzo se voulait toujours didactique quand il avait bu. Il se calquait sur le cours de littérature et de vie qui venait de se donner entre les deux Slenders, et ne parvenait qu'à une logorrhée aux dimensions totalement disproportionnées si l'on s'en tenait à ce qu'il voulait réellement dire. Narcisse commençait à trouver le temps long.

« Narcisse, tu es naïf. Ni le vice ni la vertu ne payent, en fin de compte. Tout cela n’est que navrantes tentatives pour se détourner de – ma bouteille, cousin, je n’ai pas assez bu. »

Et sur ces paroles, il retourna la bouteille, qui ne laissa qu'une malheureuse goutte d'alcool venir humecter le visage de son ami, comme pour confirmer ses dires. Le crime trop court. Le crime trop court... Narcisse, comme toujours, avait laissé le long écoulement du discours de son camarade se tarir, attendant la suite. Parfois, il se disait qu'il ne serait peut être pas inutile de l'écouter. Rien que de temps en temps. Peut être que ces longs discours qui ne menaient nulle part, ces Holzwege, ces chemins qui s'enfonçaient en impasse dans la forêt, peut être ces discours cachaient-ils quelque chose... en effet, Narcisse aurait mieux fait de s'en inquiéter. Ces quelques siècles étaient passé trop vite. Et en même temps, ils lui avaient semblé si longs. Mais ils ne lui avaient pas laissé le temps de percer à jour la psychologie tourmentée de sa pupille à la chevelure écarlate. Lorenzo avait fait office de meuble dans les couloirs sinueux de l'esprit de Narcisse. Pas plus. Du moins c'est ce qu'il essayait de croire. Pourquoi aurait-il cherché à comprendre ses secrets ? Le rouquin ne l'intéressait pas plus qu'un autre.

Ses efforts d'auto-persuasion se révélaient de plus en plus vains. D'ordinaire, Lorenzo l'aidait à rester immergé dans ses illusions. Ce soir, l'alcool lui arrachait son ami, qui était déjà ailleurs.

« Ami Narcisse, si ta personne se trouvait par-delà le bien et le mal... que fais-tu donc ici? Ne serais-tu pas in-jugeable par les hommes et par Dieu? Il n'y aurait ni Paradis, ni Enfer pour ta grandeur. Mais ta grandeur, est pourtant bien là, en Enfer... surprenant non? »

Le conteur repassait à l'attaque. Narcisse se sentait si las. Il aurait tellement aimé pouvoir rendre les armes. Pourtant, il ne l'aurait fait pour rien au monde. Pourquoi ? Parce qu'il en était ainsi. Narcisse était Narcisse ; Narcisse vénérait tellement Narcisse qu'il en était prisonnier. Prisonnier d'un destin qu'il s'était lui même, en partie, dessiné.

- L'alcool ne t'ôte pas toute ta répartie, Conteur... contrairement à cet être veul et indolent, à ce... lendemain d'orgie ambulant, hein Lorenzo ?

Narcisse le prit par l'épaule, le secouant légèrement l'épaule ; l'inspiration, pour cet étrange patronyme, lui était venue il ne savait d'où. Il tenta de construire quelque chose en réponse.

- Quant au vice, ...

« Vice, vertu... je ne vois pas même comment l'on peut encore disserter sur la question. »
L'autre l'avait coupé. Il ne l'écoutait vraisemblablement pas. On pouvait le comprendre.

Narcisse le laissa finir, ne lui accordant à nouveau qu'une oreille distraite. Personne ne s'écoutait. Quoi d'étonnant ? Lui n'écoutait personne. Le même égoïsme résidait en chaque individu. Lui, Narcisse, avait au moins le courage de l'assumer. Il ferma les yeux, plusieurs secondes durant.

Comme le temps lui semblait long. La puissance, la joie habituelle, tout cela lui manquait. Comment les retrouver ?

- Les mots... les mots... commença-t-il. Les éternelles paroles... Renzo, tu ne tiens pas l'alcool.

Lui même ne savait plus ce qu'il disait. Il reniait celle qui habituellement était sa seule compagne et sa seule arme : Dame Eloquence. Narcisse se tourna alors vers le dit "poète" et poursuivit :

- Une fatalité. Le nihilisme nous guette. C'est drôle, en toi ce soir, je crois apercevoir un pâle reflet de moi-même. Translucide. Reflet de moi, mais de moi au plus bas.


Il avait cette fâcheuse tendance, en ce moment, à distinguer partout des traits qui lui étaient propres. Son égoïsme le poussait à se reconnaître en toute chose.

- Viens dans mon quartier, à l'occasion, et je te ferai l'honneur de te faire essayer Mes traits.

Il avait ce pouvoir et en usait comme d'un jouet. Mais l'apparence ne faisait pas tout, et aucun reflet ne se révélait parfait. D'un côté, cela flattait son orgueil. Mais de l'autre, il se voyait condamné à la solitude. Et ce soir-là, malgré son ton d'auguste souverain, il n'y croyait plus. Il ne croyait plus en aucune de ses propres paroles.






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MessageSujet: Re: King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil]   King of the Ghost Train [Lorenzo et Virgil] EmptyDim 5 Avr - 19:47













Ah, la beauté d'un dialogue où nul ne s'écoute. Cela au moins était familier à Lorenzo, cela au moins il connaissait, il pouvait le gérer. Leurs discours - tant ceux du Barde que ceux du prince Orgueil, sans parler de ceux de l'assassin - n'étaient destinés qu'à eux-mêmes, et chacun semblait déclamer des vers à un miroir. Narcisse n'était sans doute finalement que le plus honnête d'entre eux. Si les paroles de Lorenzo n'avaient de sens que pour lui, s'il se perdait une fois de plus dans ces interminables logorrhées qui ne débutait qu'in medias res, là où ses pensées prenaient forme verbale, et dont le point était finalisé par une gorge trop sèche, le semblant de joute de Virgil et Narcisse était le fruit d'une impossibilité fondamentale : deux personnes différentes, qui sont face à face et qui forment des mots avec leurs bouches - mais qui donnent à chaque mot un sens différent l'un de l'autre. Quelle pitié. Différentes époques - différents vices plutôt. Monades, etc. Le verbe est capricieux. C'aurait pu être amusant si le Florentin n'avait pas eu l'alcool désespérément triste. Même chez la fille qui enchaînait les figures, toutes plus gracieuses, plus impressionnantes les unes que les autres, sur la barre, ayant momentanément cessé de chanter, il percevait un ennui alourdi par l'habitude, et les tours de ses hanches, et les regards dont elle gratifiait son public, semblaient dire : "Je sais ce que vous êtes". Ne restait plus qu'à lui souhaiter d'avoir un orgasme dans les bras de son généreux bienfaiteur de la soirée, après son numéro ; nul doute, au vu de sa virtuosité, qu'elle n'aurait que l'embarras du choix parmi les clients. Restait à lui souhaiter aussi que ledit généreux bienfaiteur soit assez dégourdi pour lui donner cet orgasme. La joue enfoncée dans son poing, Lorenzo la regardait sans presque la voir ; il se demandait de quelle façon elle simulait. A voir les sourires et les œillades qu'elle lançait, elle devait être convaincante. La dentelle noire tombée à ses pieds se tordit sur un mouvement d'air, ondula lentement, et la question qui lui vint ensuite concerna le nombre d'hommes qui, dans la pièce, pouvaient à cet instant se prendre pour des poètes fin-de-siècle, et désirer mourir sous les pieds de cette Salomé foncièrement mal divertie. Lorenzo avait toujours détesté Baudelaire, Lorrain, Huysmans et consorts pour cet insupportable semblant de masochisme qu'ils ne cessaient d'étaler, façon bave d'escargot. Leurs pauvres muses se voyaient érigées sur un piédestal dont ils lui interdisaient de descendre, à la fois plus et moins qu'humaine, déesse et objet. Il faut imaginer Galatée en tabouret. Non, décidément - il avait lu les poètes romantiques avec avidité, il avait aimé leurs manifestes et leurs sonnets et leurs proses, mais il les avait détestés. Lorenzo ce soir n'aimait pas grand-chose.
Si ce n’est, peut-être, la promptitude avec laquelle Virgil faisait apparaître une nouvelle bouteille, remplie celle-là ; ses aptitudes présentaient d’indéniables avantages. Un ami à préserver. Cela lui valait sans doute l’aversion de quelques tenanciers, qui somme toute perdaient de l’argent à ce petit jeu, mais on n’était pas là pour complaire aux commerçants, n’est-ce pas. Un « Ahh ! » d’ivrogne soulagé lui échappa lorsque le poète des millénaires passés lui tendit la bouteille, et il but à son tour, avidement, Pour lutter contre l’alcool triste, boire plus.

« Ami Narcisse, si ta personne se trouvait par-delà le bien et le mal... que fais-tu donc ici? Ne serais-tu pas in-jugeable par les hommes et par Dieu? Il n'y aurait ni Paradis, ni Enfer pour ta grandeur. Mais ta grandeur, est pourtant bien là, en Enfer... surprenant non? »

Voilà. Exactement. Tout à fait ça. Un grand geste, d’une éloquence pâteuse, souligna les paroles de Virgil ; alors même qu’il était le premier à courber l’échine devant son seigneur et maître d’ordinaire, ce soir-là il n’en éprouvait pas la moindre envie. Une vague nausée lui retournait l’estomac. S’il avait su bien sûr quelles pensées avaient suivi dans l’esprit de son ami sa tirade – les réactions auraient pu aller du coup de poing à la provocation en duel (avec le temps, il avait fini par parvenir à la conclusion que toute la mascarade de l’épée faisait vraiment trop dixhuitiémiste), ou bien encore un simple départ du bar pour aller chercher ailleurs une meilleure compagnie. Par meilleure, comprenez : qui ne saurait rien du passé de Lorenzo. Ce serait là un avantage non négligeable.
Quoi qu’il en soit, Lorenzo avait sans doute bien mérité la pique qu’il reçut de Narcisse ; ce ne fut pourtant pas la critique de son éloquence à toute épreuve qui le fit se crisper. Il releva la tête, posa sur le seigneur d’Orgueil un regard où il n’y avait plus trace de chaleur. Il connaissait ces mots ; cet imbécile de poète les avait employés. Le livre n’avait pas été difficile à trouver ; il existait des bibliothèques en Enfer, toutes mieux fournies les unes que les autres. Cela aussi, il l’avait détesté, nous en sommes tous très surpris, n’est-ce pas. L’emploi de la formule, volontaire ou non, étrange intuition, avait pâli ses joues d’une colère blanche.

« Le lendemain d’orgie ambulant t’emmerde, Narcisse. »

Plus hors-caractère, et plus puéril, on ne fait pas. Ce n’était qu’un marmonnement, dont il n’était pas vraiment sûr que les deux autres l’entendraient ; le vocabulaire châtié du Florentin avait, après tout, évolué avec les âges. Quoi qu’il en fût, le dialogue se poursuivit. Lorenzo avait reposé la bouteille, et s’était rappuyé sur l’accoudoir, les yeux à demi clos. Un rire le prit.

« L’important, Virgil, est ceci : même si tu ressembles à notre cher Narcisse d’une façon ou d’une autre, tu ne seras capable de l’évoquer qu’au plus bas. Une trop grande ressemblance serait vexante pour notre incarnation de la beauté. » Son sourire s’élargit. « Prends bien garde à ne pas le laisser trop te modifier – il serait capable de s’amouracher de toi. »

Un rien d’acidité, peut-être. Renzo avait toujours détesté cette manie chez Narcisse ; la teinture pourpre de ses cheveux n’y était guère étrangère. Décidément ce soir la capacité du Florentin à ignorer savamment toute réalité indésirable semblait bien entamée. Back to black, sweeties.






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Note : encore toutes mes excuses pour le long retard - et pour le post abominable !
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