Tell me a funny fucking story.
« J’ai marché si avant dans le sang que si je cessais maintenant de m’y plonger, retourner en arrière serait aussi fatigant que d’aller en avant. J’ai dans la tête d’étranges choses qui passeront dans mes mains, des choses qu’il faut exécuter avant d’avoir le temps de les examiner. »1020Des rires retentirent non loin de lui, dans la grande salle où le chef du clan tenait sa cour, et le cœur de l'adolescent se serra en les entendant. Il n'aimait guère ces bruits indignes qui souillaient la solennité des lieux ; il aurait souhaité les effacer par la simple force de sa volonté, les réduire à néant ; mais il ne pouvait rien faire. Selon lui, c'est un silence sépulcral qui aurait dû s'emparer du lieu ; il n'était pas normal que la vie osât s'infiltrer avec tant d'insolence à la cour de son père, surtout en son absence. Il aurait voulu que tout le domaine fût en deuil, très certainement, comme lui l'était, indiscutablement.
Il accéléra le pas, comme s'il avait quelque chose de prévu - ce qui était totalement faux, la seule chose qu'il comptait faire en ce jour où il était dispensé d'entraînement était précisément de ne rien faire, si ce n'est s'éloigner un peu de la place forte pour se perdre dans la nature, s'allonger dans l'herbe et, surtout, rêver -, pour qu'on le laissât tranquille. Il n'était guère agréable d'être dans sa situation, après tout, il était le fils légitime d'un roi mort. Beaucoup trop proche du trône pour qu'il ne fût pas au moins placé sous surveillance. Il s'estimait déjà heureux d'être en vie ; en ces temps violents, quand on prenait la peine d'assassiner un homme, on avait tendance à se charger également de sa femme et de sa descendance. Toutefois, lui était toujours en vie - et assez sage pour ne pas tenter le destin.
Toutefois, ses bruits de pas n'étaient pas assez discrets pour les oreilles aux aguets, toujours en proie à la crainte d'être un jour victime d'une tentative d'homicide, et il se stoppa bien avant que l'on ne l'appelle.
« Macbeth ! »
Il se retourna lentement, et ses yeux se posèrent sur le visage désagréablement familier de son cousin Malcolm, flanqué de son cadet Gille. L'adolescent salua rapidement les deux hommes, veillant bien à conserver une expression aussi impassible que possible - depuis que son père était décédé, curieusement, cela lui était devenu beaucoup plus facile, comme s'il avait enfermé ses émotions à double tour au plus profond de son âme, pour ne plus avoir à en souffrir. Malgré tout, le regard du nouveau mormaer le mettait mal à l'aise. Il avait une lueur de meurtre au fond des yeux, Macbeth n'aimait guère cela.
« Pourquoi t'en vas-tu ? Allez, entre, je sais que tu es libre aujourd'hui ! »
L'adolescent réprima son agacement. Il était devenu de plus en plus difficile de faire ce qu'il souhaitait, il avait l'impression d'être sous constante surveillance désormais. Bien sûr que Malcolm ne lui faisait pas confiance. Il ne semblait pas penser que Macbeth pourrait nourrir un véritable grief contre lui : oui, le jeune homme semblait être un bon guerrier, mais il n'avait pas l'air d'en avoir le cœur, alors, sans doute, le trône ne l'intéresserait-il pas. A vrai dire, ce n'était pas une question à laquelle Macbeth lui-même pouvait répondre. Il n'avait guère envie de réfléchir à cela. Il ne faisait que fuir sa douleur, encore et encore. Et il n'avait pas la moindre envie de devoir affronter le meurtrier de son père.
« Je suis désolé, Malcolm, mais j'ai donné ma promesse que j'allais rendre visite à quelqu'un aujourd'hui. Je ne peux pas rester.
- Et on peut savoir qui est ce quelqu'un ? »
Personne, voyons - Macbeth n'était pas très doué pour mentir, et s'il avait donné un nom, il était certain que le chef aurait vérifié qu'il disait vrai. Il n'y avait malheureusement personne en qui l'adolescent faisait assez confiance pour lui demander de prétendre que la promesse existait bien. Toutefois, il ne se départit pas de son calme et répondit avec assurance :
« Je ne crois pas être obligé de te répondre. Mais si tu veux me parler, je serai là ce soir, tu pourras me poser toutes les questions que tu désires. »
Le compromis n'était pas trop mauvais, et Malcolm était assez intelligent pour le comprendre. Il acquiesça donc, toutefois, son regard était toujours animé de mauvaises intentions, le jeune homme pouvait le sentir.
« Va. Assure-toi d'être bien rentré pour le dîner, nous avons des invités aujourd'hui. »
Macbeth s'enfuit loin, très loin.
Plus loin qu'il ne l'avait jamais fait jusque là.
Parce qu'il préférait qu'on ne le vît pas, il poussa son périple jusqu'à atteindre un bois qu'il ne connaissait pas réellement, il était seulement déjà passé devant à l'occasion d'une chevauchée. C'était la première fois que Macbeth pénétrait dans l'orée du bois, découvrant un asile de verdure et de lumière - ce qui l'étonnait, car en général, les arbres tendaient à assombrir l'air, mais ce n'était pas le cas ici. Des feuilles mortes et des branches craquaient sous ses pas. Il se sentait en confiance. Il s'enfonça dans le bois, ne prenant pas la peine de repérer les lieux ; tant pis s'il se perdait, il aurait une bonne excuse pour rentrer tard. Il se fia à un bruit familier, celui de l'eau qui ruisselle sur des pierres usées... Un ruisseau devait couler non loin de là.
Macbeth finit par le trouver, et s'assit sur un rocher, contemplant son reflet dans l'eau - reflet imparfait, brisé, presque invisible, mais il pouvait se devenir dans cette tâche couleur chair et roux qui se détachait de la surface. Il en avait assez. S'il avait le courage, il se vengerait de son père. C'était son devoir, en tant que fils, il le savait ; personne d'autre n'irait le faire à sa place. C'était même la raison pour laquelle il ne devrait pas être en vie.
Et pourtant, s'il respirait encore, ce n'était pas pour rien.
Malcolm n'avait pas tort. Macbeth n'avait pas la volonté nécessaire pour venger son père et récupérer le trône qui lui revenait de plein droit.
1032Comme il était agréable, ce feu qui léchait les murs de la résidence de Gille. Oh, comme il aimait le spectacle de cette destruction immonde, il n'aurait pas pensé qu'il pourrait y prendre goût un jour. Un guerrier apprenait à accepter de voir le sang couler, le sien comme celui de son ennemi ; la vue d'une tête coupée ou d'un membre tranché, d'entrailles cherchant à s'échapper d'un ventre fendu, était certes écœurante, mais on s'y faisait - et puis, avec les différentes armures, les tripes sortaient rarement, c'était vrai. Mais il apprenait quelque chose de nouveau, ce jour-là : qu'il pouvait aimer le feu. Il était le seul à ne pas s'inquiéter des conséquences. Non, c'était plutôt qu'il n'y avait rien à craindre - lui en tirerait certainement profit.
Combien de personnes étaient-elles mortes, quelques unes brûlées, la plupart asphyxiées, dans cet incendie qui n'avait rien d'involontaire ? Cela se comptait très certainement pas dizaines. On disait que c'était une initiative du roi des Scots, Malcolm - comme le défunt frère de l'infortuné Gille. Les rumeurs allaient bon train à ce sujet. Certaines disaient que c'était de sa faute, à lui, Macbeth ; après tout, c'était lui qui allait hériter du trône, en tant que fils de chef. Il n'était donc pas idiot de penser qu'il portait une part de responsabilité, surtout quand on le voyait observer les flammes d'un air extatique.
Et, ma foi, c'était loin d'être une assertion fausse.
Toutefois, s'il y avait une critique à faire, ce n'était très certainement pas celle-là. Le fait d'assassiner un parent pour obtenir le pouvoir était un fait parfaitement toléré par les bonnes mœurs, non un crime ; même coupable, Macbeth ne faisait rien qui aurait pu le vouer à la damnation. Non, le problème, c'était la méthode. Un incendie, c'était plutôt lâche ; rien de très glorieux, cela dit, un assassinat n'avait rien de glorieux. Certes. Mais il ne s'était même pas embêté à tuer son ennemi. Il avait laissé le feu faire toute son œuvre, et s'était contenté de regarder passivement.
Ce fut le premier péché de Macbeth.
Plus tard, Macbeth organisa son mariage avec la veuve de son cousin, nommée Gruoch - et dont la postérité se souvient surtout d'elle sous le nom de Lady Macbeth. La cérémonie se déroula très rapidement, et les festivités furent longues et fort alcoolisées. Pourtant, au milieu de l'euphorie générale - peu importe le motif, une fête restait une fête, c'était ce que disait beaucoup des convives -, Macbeth n'arrivait pas à retrouver le sourire. Il avait beau s'efforcer d'être affable et de répondre gentiment à tous les vœux qu'on lui adressait - vœux parfois hypocrites, d'autres fois sincères, mais le nouveau roi ne parvenait pas vraiment à distinguer les deux, ce qui l'ennuyait beaucoup -, il n'était pas d'humeur à festoyer, et avait à peine trempé ses lèvres sa coupe. Si les serviteurs veillaient à ce que personne ne manquât de boisson, personne n'avait eu encore à le resservir. La plupart des convives étaient trop ivres pour s'en rendre compte. Il y en avait, au moins, qui profitaient de la fête...
Gruoch sentit que l'attention de son nouveau mari allait décroissant. Voilà qu'il recommençait à se perdre dans ses pensées - ou ses calculs, on ne savait jamais véritablement à quoi il pensait -, ce qui ne lui convenait certainement pas : était-ce là une façon d'honorer une épouse ?
« Quelque chose vous ennuie-t-il, seigneur ? » : lui demanda-t-elle en lui chuchotant l'oreille, pour ne pas risquer que quelqu'un d'autre l'entendît.
En retour, il lui asséna un regard glacial, presque méprisant, un regard qu'elle n'avait eu l'occasion de voir qu'à une seule reprise : quand il observait son précédent mari. Les lèvres de Macbeth étaient tordues dans un sourire bizarre ; on sentait qu'il s'était forcé à les étirer pour ne pas avoir l'air trop morne au sein de l'assemblée festive.
« Rien dont vous n'ayez à vous soucier. C'est juste que.... » Il la lâche du retard pour observer la foule qui s'amusait tout autour d'eux, sans se départir de son regard distant.
Il n'en fallait pas plus pour attiser vivement la curiosité de sa femme.
« Quoi donc ? Vous pouvez m'en parler, vous savez, je serai votre confidente désormais. »
Le faux sourire se déforma un instant, mais très vite, Macbeth combla cette fissure et endossa à nouveau son masque. L'idée d'avoir une confidente devait lui être étrange, il ne semblait pas être le genre d'homme à s'être jamais fié à quelqu'un. Toutefois, elle pouvait voir qu'il ne la rejetait pas, comme s'il considérait sérieusement son offre. Après tout, derrière chaque grand homme se cache toujours une femme...
« Eh bien, tout cela me paraît un peu étriqué. » Elle comprit mieux pourquoi il ne la regardait plus : son regard englobait l'intégralité de la salle, et il ne fallait pas s'étonner qu'il la trouvât plutôt petite. « Je sens que je pourrais faire beaucoup plus que cela. Que je ne peux pas me limiter à ces seules terres. »
Un projet de conquête ? Voilà qui lui plaisait bien. Pour une femme de chef, il y avait un certain prestige que l'on pouvait retirer des exploits du mari. C'était une des façons de se faire une place dans une société qui était surtout dominée par les hommes. Gruoch était donc plutôt contente d'entendre Macbeth avouer à demi-mot qu'il comptait bien devenir un souverain encore plus grand encore.
« Et qu'est-ce qui vous en empêche ? » : glissa-t-elle d'un ton qui sous-entendait qu'il n'y avait pas le moindre obstacle à cette ambition.
Cependant, à sa grande surprise, Macbeth ne réagit pas du tout comme elle l'attendait. Au lieu d'approuver, ou de sembler s'en réjouir, il se rembrunit davantage. Plus de sourire sur le visage, désormais : il ne semblait même plus vouloir faire cet effort. C'était étrange. Cela ne ressemblait pas à l'attitude qu'adopterait un futur conquérant.
« La motivation, tout simplement. » : avoua-t-il avant de se lever pour s'éloigner d'elle.
Elle resta donc seule à leur table, songeuse. Elle ne comprenait pas. Son époux était-il en train de lui dire que ce qui le gênait désormais, c'était
un manque de volonté ? Oh, elle avait envie de rire. Comme il était stupide de ne pas concrétiser ses rêves simplement parce qu'on n'en avait pas l'envie...
Elle allait devoir le soutenir, s'ils voulaient arriver à quelque chose.
1040Il semblait que le roi d'Écosse Duncan avait sous-estimé les qualités de son opposant.
On pouvait dire ce que l'on voulait sur Macbeth. En tant qu'homme, il avait certainement beaucoup de défauts - et ce n'était pas sa femme qui allait contredire ce fait, d'ailleurs. Il avait tendance à toujours faire le strict minimum, parfois en faisant courir de graves dangers à son entourage - et visiblement, cela ne semblait pas du tout le déranger. Les hommes du Moray avaient vite compris comment était Macbeth. Il ne fallait pas l'embêter, tout simplement, il détestait cela. Toutefois, sur le champ de bataille, il se montrait différent. Il se battait férocement, de sorte qu'il était bien difficile de lui résister. Qui plus est, il était un bon stratège ; c'était un homme visiblement intelligent, le genre d'homme qu'on imaginait très bien mener d'ignobles complots contre un roi - après tout, il avait déjà tué son cousin, même si officiellement, ce n'était pas de son fait, bien sûr. Et, quand Macbeth menait une campagne, il revenait toujours en héros.
Ses relations avec Duncan étaient plus ou moins cordiales, en fonction des moments ; mais assez toutefois pour que le roi lui fît confiance. Macbeth était très certainement loyal, voilà pourquoi il n'avait vu aucun problème à lui confier le commandement de ses troupes.
Sans doute est-ce pour cela que, lorsque la Norvège entra en conflit avec l'Écosse, Duncan n'hésita pas à envoyer à nouveau son fidèle Macbeth. Le commandant avait, comme à son habitude, protesté qu'il n'en avait nulle envie, toutefois, ses plaintes n'y firent rien, et il dût se battre contre les troupes qui avançaient dans leur direction. Ceux qui eurent l'honneur de combattre à ses côtés racontèrent beaucoup de choses à son sujet. Notamment une fois où Macbeth fit preuve d'un courage exemplaire et réussit à ravir la victoire à ses opposants, pourtant partis favoris. On vous raconterait alors comment le guerrier roux, sans se soucier des pertes qu'il avait subies face aux troupes ennemies, avait décidé de se lancer dans une charge héroïque, afin que leurs alliés ne fussent pas morts en vain. C'était une idée qui semblait beaucoup le perturber, le fait que l'on pût mourir sans raison. Il y était allé seul, d'abord - personne n'osait le suivre. Mais le spectacle de cet homme seul sur son cheval, prêt à affronter l'ennemi mille fois plus nombreux que lui, sans se soucier de son propre destin, redonna du cœur à ses troupes. Ce jour-là fut sans doute la plus grande bataille qu'il eût jamais menée.
« Ce n'était plus un homme, disait-on, c'était un dieu de la guerre. »
Et il était vrai que sa seule présence galvanisait les troupes et leur redonnait l'espoir. Macbeth se forgeait une réputation de guerrier impitoyable et puissant, une réputation digne d'un roi - ce rêve secret que l'homme caressait, sans l'avoir jamais admis ouvertement à une autre personne que sa femme. Il était, disait-on, l'incarnation du combattait, et on n'aurait su imaginer meilleur chef de guerre que lui.
Mais bon, c'était surtout dû à ses exploits sur le champ de bataille. Quand il ne se battait pas, Macbeth avait une fâcheuse tendance à passer ses journées au lit.
Ses ambitions n'étaient pas éteintes. Quelques braises brûlaient encore, ensevelies sous des couches de cendre froide. Lorsque Macbeth revint vers Duncan, ce fut avec un visage ennuyé et las ; et les murmures ne tardèrent pas à se répandre à son arrivée. Était-ce là l'homme victorieux qui avait vaincu leurs ennemis ? un vainqueur pouvait-il revenir avec une telle expression de dédain, comme s'il était blasé ? Ce n'était guère le genre d'image que l'on souhaitait rester gravée à jamais. Pourtant, on n'hésita pas à le féliciter quand il arriva vers le roi d'Écosse, et lorsqu'il descendit de selle, Macbeth fit l'effort d'afficher un sourire feint, mais qui suffisait aux autres.
La chevauchée l'avait éreinté, il était moulu de fatigue et perclus de courbature. Il n'avait pas été gravement blessé lors de ses batailles, mais quelques égratignures et autres blessures mineures le tançaient. Il avait besoin de repos, et vite - Macbeth n'aimait pas du tout le fait de devoir attendre avant de pouvoir rejoindre son lit, et la femme qui l'y attendait. Toutefois, il savait qu'il ne pouvait pas se défiler. Il avait conscience de ses responsabilités, et ce depuis longtemps ; avait-il seulement jamais été vraiment libre, un jour ? Il se souvint vaguement de journées passées dans la nature, mais cela lui paraissait si loin désormais. Et puis, il commençait à sentir rattrapé par l'âge. Il avait environ trente-cinq ans, ce qui, pour l'époque, constituait déjà un âge fort correct. Macbeth sentait déjà qu'il perdait un peu de sa vitalité, de ses réflexes. Et à vrai dire, il s'en souciait assez peu, du moment qu'il arrivait à tenir sur un champ de bataille, c'était tout ce qui lui importait. Ses rêves de grandeur étaient moins précis, désormais, plus flous. Mais pas totalement absents, jamais.
Lorsqu'il se présenta contre son roi, il se montra silencieux, comme toujours. On aurait dit que parler lui coûtait de l'énergie, et qu'il ne désirait pas accepter une telle dépense. Il accepta placidement les éloges qui lui étaient adressés, essayant de cacher le fait que toutes ces paroles l'écœuraient plus qu'autre chose. Il ne se reconnaissait pas véritablement dans l'image du guerrier que l'on faisait que lui. Était-il vraiment si brave ? Il n'en avait pas l'impression. Lui se battait au mieux pour pouvoir achever la bataille au plus vite ; était-ce une raison pour le considérer comme un héros ? Il n'allait cela dit pas en discuter. Il préférait laisser le discours se poursuivre, encore et encore, jusqu'à ce qu'un point attirât son attention.
« Et, à compter de ce jour, je fais de Macbeth le nouveau baron de Cawdor. »
Ce fut à ce moment-là que Macbeth leva son regard blasé vers le roi Duncan. Baron ? On lui donnait donc un nouveau château, et avec lui les terres qui en dépendaient, les paysans qui travaillaient dessus, et bien sûr la gloire de disposer d'un titre supplémentaire ? C'était ce qu'il recherchait, et il remercia humblement de lui faire cet honneur. Il était alors l'image de l'homme comblé, se réfugiant dans l'humilité pour ne pas effrayer l'assemblée de sa joie.
Oui, mais...
Alors même que Macbeth s'inclinait gracieusement en guise de remerciement, son cœur était en proie à un affreux tumulte. Son rêve secret se rappelait à lui, et de façon plutôt douloureuse. Qu'était-ce donc que Cawdor ? une terre parmi d'autres. Oui, il augmentait ses possessions territoriales, mais ce n'était pas assez, c'était diablement peu. Il en voulait plus. Beaucoup plus qu'un titre à superposer au sien ; il en voulait un nouveau qui dépassât celui dont il disposait. Il savait qu'il pourrait l'obtenir, avec du temps et du labeur. S'il continuait de servir ainsi Duncan, Macbeth avait une chance de devenir un seigneur encore plus grand encore. Toutefois, le feu de la jalousie le brûlait. Pourquoi devait-il faire tant d'efforts pour obtenir ce que d'autres possédaient dès leur naissance ? Quel intérêt avait-il de risquer sa vie sur le champ de bataille, limitant ainsi ses chances de devenir vieux et de jouir de nouvelles possessions intéressantes ? Non, tout cela ne convenait pas à notre héros, il comprenait bien qu'il n'aurait la patience d'attendre autant de temps. Encore moins l'envie de le faire. Macbeth voulait tout obtenir, de façon rapide et efficace. Moins cela lui demandait d'efforts, et mieux cela valait.
Mais il cacha ses pensées au plus profond de son cœur, et adopta le masque de la satisfaction.
Macbeth étant le héros de cette campagne, le roi trouva donc de bon ton de s'inviter chez lui - et Macbeth accepta sans hésitation, quand bien même il n'avait guère envie de l'accueillir en son humble demeure. Déjà, une idée commençait à naître dans sa tête. Une mauvaise idée, bien évidemment. Quelque chose qui changerait très certainement le cours de son destin. Alors il avait dit oui au roi, et, pendant que tout le monde se préparait à ce qui s'annonçait être un magnifique dîner, Macbeth commença ses préparatifs. L'idée devenait de plus en plus obsédante ; elle le martyrisait même, tant elle refusait de le lâcher. Je vais devenir fou, se dit-il en comprenant à quel point il était déterminer à aller au bout de son plan. Parce qu'il avait trouvé le moyen de concrétiser ses ambitions, et ce, sans y mettre beaucoup d'efforts. Un peu d'argent lui suffirait ; et ce n'était guère un problème, car de l'argent, il en avait.
Restait à convaincre Gruoch du bien fondé de son plan. Et, à sa grande surprise, quand il lui annonça qu'il comptait tuer le roi, elle ne le rejeta pas de toutes ses forces. Au contraire, elle l'étudia soigneusement, considérant avec sérieux sa suggestion.
« Ma foi, finit-elle par dire, je suis rassurée que vous ayez enfin pris cette décision-là. »
Macbeth observa sa femme avec incompréhension. Ce qui était, au départ, un mariage essentiellement politique était devenu une union sincère. Il aurait été faux de dire qu'il n'aimait pas sa femme. Lady Macbeth disposait d'une force de caractère exceptionnel, et sans elle, les terres de Macbeth ne seraient pas aussi bien gérées. Elle avait beaucoup de volonté, contrairement à lui, et quand elle se fixait un objectif, elle faisait tout pour l'atteindre. En cela, elle était son opposée, et c'était sans doute pour cela que son époux éprouvait beaucoup de respect pour elle. Toutefois, il ne s'était pas attendu à ce qu'elle l'approuvât.
« Je vous parle de haute trahison. Si nous échouons, c'en est fini de nous. Avez-vous seulement conscience des risques ?
- Oh, oui, très certainement, répondit-elle. Mais je vous connais, Macbeth, vous êtes bien plus forts que vous ne le laissez entendre. Je sais que sous votre conduite, le plan réussira. Vous êtes un bon stratège. »
Elle n'avait pas tort. Macbeth était un homme intelligent, il saurait très certainement comment se débrouiller pour que le roi mourût sans qu'on pût le lui reprocher, et encore plus se frayer un chemin jusqu'à la royauté. Ce n'était pourtant pas évident : Duncan avait un fils. Toutefois, elle ne devait pas douter un seul instant que son époux trouverait une solution au problème - et elle n'avait pas tort : puisque c'était la solution la plus facile, le moins que Macbeth pouvait faire était de se lancer à corps perdu dans cette tentative.
« Et vous ne vous interrogez pas sur mes motivations ? Moi qui suis très certainement considéré comme l'homme le plus loyal de toute l'Écosse ? »
Là encore, Macbeth ne disait rien de faux : personne n'envisageait une trahison de sa part, tant ceux qui le prenaient pour un homme vertueux et juste que ceux qui avaient compris quelle était sa véritable nature - les derniers pensant qu'il n'avait pas l'énergie nécessaire pour penser à la trahison. Eh bien, ils se trompaient. Toutefois, Gruoch était la mieux placée pour comprendre comment Macbeth fonctionnait.
« Je sais que vous désirez être roi d'Écosse, je l'ai compris dès notre mariage. Il y a peu de gens aussi ambitieux que vous, Macbeth, mais la plupart font tout pour parvenir à leurs fins. C'est pour vous la voie la plus facile et c'est pour cela que vous l'avez choisie. Vous aimez votre honneur, mais vous avez une incroyable tendance à la paresse, pour un guerrier. »
Macbeth éclata de rire en entendant cela. La paresse ? c'était bien la première fois que l'on invoquait la paresse pour expliquer ses décisions. Pourtant, il sentait que ce n'était pas tout à fait faux. N'était-il pas le partisan du moindre effort, préférant se dépenser durant la bataille pour que celle-ci durât le moins longtemps possible ? N'avait-il pas tendance à pester à chaque fois qu'il devait accomplir une tache parce que tel était son devoir, quand bien même il refrénait son agacement en public ? Elle n'avait pas tort, mais elle était sans doute la seule à se rendre compte qu'elle avait raison - personne d'autre ne la croirait.
« Dans ce cas, il est temps pour nous de nous mettre au travail. Nous devrons tuer Duncan au moment où il s'attendra le moins. Nous aurons besoin d'hommes pour nous occuper de sa garde rapprochée.
- Et de drogues, ajouta sa femme. Un guerrier drogué ne saurait se battre.
- Vous marquez un point. Il vaut mieux ne pas prendre le moindre risque à ce sujet. »
Sans compter que c'était beaucoup plus simple s'il n'avait pas à se battre. Ce n'était pas qu'il détestait se battre, en fait, mais c'était tout de même fatiguant. S'il avait choisi la voie du meurtre, c'était précisément pour s'épargner cette fatigue.
Lors de la réception, Macbeth se montra l'hôte le plus agréable qui fût, de sorte qu'il n'éveilla pas un seul instant les soupçons. Il semblait même particulièrement enjoué, comme si rien ne pouvait lui faire plus plaisir que la présence du roi sous son toit... ce qui n'était d'ailleurs pas totalement faux, au vu des circonstances. Assis à côté de Duncan, Macbeth ne cessait de l'abreuver du récit de ses exploits au cours de la dernière chevauchée, qu'il contait avec une modestie feinte. En vérité, il comptait bien l'éblouir : plus il agitait sa fidélité sous le nez, et moins les soupçons d'une potentielle trahison étaient crédibles. Le seigneur ne cherchait qu'une seule chose, montrer à son roi qu'il ne pouvait pas avoir meilleur allié que lui. Et puis, en parlant de choses qu'il connaissait bien, il limitait le risque de faire une erreur et de révéler ses plans par lapsus. En somme, cette réception fut l'une des plus belles que l'on eût jamais vues alors dans le château de Macbeth ; et sans doute n'y en aurait-il jamais de plus belle.
Ce fut aussi la plus sanglante de toutes, naturellement.
Vint le moment où les convives commencèrent à piquer du nez. Vu l'heure, ce n'était guère suspect ; toutefois, leur sommeil était volontiers accentué par quelque drogue que l'on avait pris soin de glisser dans chaque verre. Seuls Macbeth et son épouse étaient épargnés. Le moment de boire et de manger s'achevaient, et Macbeth proposa à chacun des invités de rejoindre leur chambre. Il escorta personnellement le roi jusqu'à la sienne, qui était la plus grande et la mieux aménagée que l'on pouvait trouver dans son château ; c'était là l'honneur réservé à un souverain. Macbeth observa Duncan s'affaler lamentablement sur son lit, trop faible pour réfléchir au danger qu'il courait. Il pensait sincèrement être en danger, et lorsque Macbeth lui souhaita de passer une bonne nuit, il ne put s'empêcher de sourire. Cette nuit serait la dernière.
Il fit mine d'aller se coucher également, et quand il fut certain que tout le monde, grâce à l'effet de ses opiacés, était profondément endormi, il sortit de sa chambre en compagnie de sa femme.
« Êtes-vous sûre que même les gardes sont endormis ? » : lui demanda-t-il, sachant que c'était elle qui s'était occupée de cette partie du plan.
Elle acquiesça vivement, avant d'ajouter :
« Soyez prudents. Êtes-vous vraiment obligé de faire cela vous-même ?
- Il n'y a aucun autre à qui je puis confier cette tâche. Et puis, si je veux devenir roi moi-même, ne dois-je pas tuer moi-même mon prédécesseur ? »
A vrai dire, cela le surprenait lui-même. C'était beaucoup d'efforts, mine de rien, que de s'infiltrer dans une chambre pour poignarder quelqu'un. Et voilà que Macbeth comptait tuer le roi de ses propres mains - parce que c'était un symbole. Il ne se reconnaissait pas lui-même. Voilà ce que c'était, que de choisir la solution de facilité, cela lui donnait envie de se dépenser un peu.
Ce serait sans doute la seule fois où Macbeth tiendrait le poignard lui-même - la prochaine fois, il comptait engager des assassins, car oui, il comptait bien recommencer.
Il n'avait pas besoin de faire attention à ses déplacements, toutefois, dans la mesure où il allait prendre de gros risques, Macbeth préféra se faire le plus discret possible. Il s'était changé dans sa chambre, ayant enfilé des vêtements noirs - il lui semblait que c'était de circonstances, et puis, sa tenue de banquet était trop fastueuse et trop reconnaissable pour cela. Il n'eut aucun mal à se rendre jusqu'à la chambre du roi, et les gardes censés veiller sur son sommeil s'étaient assoupis également, incapables de résister aux effets de la drogue. Cela tira un sourire sur le visage de Macbeth, alors même que celui-ci franchissait le seuil de la pièce. Tout était sombre, seule une chandelle permettait de distinguer la silhouette allongée d'un homme sur le lit. Posant soigneusement ses pieds bottés sur la pierre, Macbeth s'approcha de Duncan, et s'assit à côté de lui, fasciné par la vision du roi endormi. Il ne put s'empêcher de passer les doigts dans sa chevelure, un instant, juste pour voir s'il allait se réveiller - mais ce fut à peine s'il bougea. Il ne se réveillerait pas, et son fidèle commandant allait veiller à ce qu'il en fût toujours ainsi.
« N'y vois rien de personnel, chuchota-t-il dans la pénombre. Cela ne fait que nous épargner du temps, à toi et à moi. Je suis certain que toi aussi, tu es fatigué par ton existence. »
Fatigué de vivre, voilà ce que Macbeth voulait dire. Quand il voyait à quel point Duncan se démenait, il se disait toujours que ce n'était pas possible de disposer d'autant d'énergie. Il était destiné à mourir jeune, c'était ce dont le seigneur de Moray se rendait compte. Comment faire des yeux quand on se dispersait tant ? Alors il avait décidé que le roi ne voulait plus vivre.
« Si tu savais comme je t'ai jalousé, mon cher Duncan... je t'ai envié sans même avoir le cran de me l'avouer. Jamais je n'aurais pu penser que ce que je voulais, c'était ni plus ni moins que ta place. » Il se releva, agrippant plus fermement le manche de son poignard. « J'aurais mieux fait de te défier en duel. Ou d'attendre que tu m'honores. Mais je suis fainéant, c'est ce que dit ma femme. Alors autant en finir tout de suite. »
Il plongea alors le poignard dans la chair du roi.
Macbeth avait déjà tué beaucoup d'hommes. C'était un guerrier, après tout, délivrer la mort était devenu naturel. Toutefois, il sentit que ce qu'il faisait était étrange. Il ne sentait pas la moindre résistance. Il n'y avait pas d'yeux ouverts pour le regarder pendant qu'il le précipitait vers sa fin. C'était... lâche, tout simplement. Ce ne serait jamais un acte dont il pourrait se vanter, jamais. Il ne pensait pas s'inquiéter vraiment des questions d'honneur, c'est vrai, toutefois, il n'était pas sûr qu'il arriverait vraiment à surmonter ces étranges émotions que cet acte soulevait en lui.
Quand il s'éloigna du corps encore chaud, Gruoch se tenait sur le pas de la porte, observant son époux agiter un poignard plein de sang.
« Et me voilà régicide. » : lui dit-il simplement.
Les rumeurs secouèrent la maisonnée, le lendemain. Le roi avait été assassiné dans ses sommeils par ses propres gardes ! Voilà ce que tout le monde disait, et Macbeth, pâle d'avoir passé une nuit blanche, s'efforça de rassurer tout le monde.
« Nous ne pouvons pas laisser ce crime odieux impuni, déclara-t-il avec une telle fougue qu'il semblait impossible de douter de son innocence. Nous ne laisserons pas les assassins s'en tirer comme cela. C'est de notre roi bien-aimé qu'il s'agit ! »
Des larmes coulaient le long de ses joues, mais elles n'étaient pas destinées à Duncan. Pour autant, elles n'étaient pas fausses. Macbeth et sa femme avaient passé une nuit affreuse, assis dans leur chambre car ils ne parvenaient pas à trouver le sommeil. Les yeux de Gruoch étaient exorbités ; elle qui était toujours si forte paraissait perturbée par l'idée que c'était le roi qu'ils avaient tué. Elle avait murmuré des choses incompréhensibles la nuit durant. Macbeth lui-même s'était senti trop nauséeux, il aurait été incapable de la consoler.
Avait-il pris la bonne décision ? Ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne devînt roi, toutefois, il commençait déjà à être envahi par le doute. S'il devenait roi, n'aurait-il pas plus de responsabilités ? Le fait d'avoir été si rapide et d'avoir choisi une solution aussi simple n'impliquait-il pas qu'il devrait désormais continuer ses efforts, à présent qu'il était si proche de son rêve ? Ce n'était pas une question qu'il avait réellement envisagée jusque là. Il se souvenait encore de ses mains poisseuses de sang. Il les avait nettoyées, mais il avait l'impression qu'elles étaient toujours rouges. Ce n'était qu'un effet de leur imagination, vu qu'elles avaient recouvré leur pâleur originelle ; mais Macbeth ne parvenait pas à se défaire de l'image.
Il avait peur.
Mais il ne pouvait pas se laisser aller, surtout pas quand sa femme menaçait de s'effondrer à tout instant. Avant de quitter leur chambre, il lui avait demandé :
« Et nous continuerons, je présume ? »
Elle avait levé son visage blanc, paniqué, et elle avait acquiescé. Rien n'était terminé, tout ne faisait que commencer.
1057Pour le roi Macbeth, la vie avait perdu de sa saveur.
A ses yeux, tout s'était teinté d'écarlate. Il ne cessait de voir cette affreuse couleur partout où il tournait ses regards, et il n'en pouvait plus. Il avait cessé de porter cette teinte à cause de cela, et lorsqu'un courtisan paraissait devant lui, en portant du rouge, il le renvoyait de façon discourtoise, sans jamais expliquer son geste. On le disait du coup lunatique, un homme qui ne suivait pas toujours le bon sens. Mais on le respectait. Cet homme était un héros, après tout, un véritable guerrier, et le seul homme qui aurait pu suspecter à feu Duncan. A le voir, assis sur son trône le dos droit, l'expression froide et déterminée, on devinait tout de suite qu'il avait la force nécessaire pour mener un royaume.
Mais sa froideur n'était que du vent. Macbeth était las et fatigué, et chaque jour, il sentait le poids des ans alourdir un peu plus le fardeau qu'il portait sur ses épaules. Combien de temps encore avant que ses articulations ne commencent à le faire souffrir ? Combien de temps avant que ses cheveux ne grisaillent complètement, pour virer au blanc et tomber de sa tête tels de mornes flocons de neige ? La décrépitude faisait peur à Macbeth, et il craignait la vieillesse qui menaçait de le prendre dans ses bras. Plus le temps passait, et plus il lui devenait dur d'assumer sa fonction. Toutefois, ce qui le faisait sans doute le plus souffrir, c'était l'idée qu'il n'était, au fond, qu'un meurtrier, un usurpateur. Il était le mal, dans cette histoire ; et bien sûr, il ne pouvait que craindre qu'un autre désirât lui ravir sa place. C'était ce qui lui faisait le plus peur, d'être détrôné par quelqu'un qui agirait comme lui.
Sa souffrance n'était cependant rien à côté de celle de sa femme. Elle qui lui avait toujours paru volontaire, prête à tout pour arriver à sa faim, elle se révélait bien plus fragile qu'elle ne le paraissait. Elle ne pouvait accepter cette mort, la première d'entre toutes, celle du roi dans laquelle elle avait trempé. Après cela, elle n'avait plus jamais été la même. Elle ne souriait plus, elle ne songeait qu'au meurtre, et parfois, de douteux aveux s'échappaient de ses lèvres. Macbeth la regarda sombrer dans la folie. Lentement. Sans rien pouvoir y faire. Les deux époux, toujours complices jusque là, s'étaient éloignés. Elle ne supportait plus qu'il la touchât, éclatant en sanglots dès lors qu'il posait la main sur sa peau. Sauf, bien sûr, dans ces moments-là, ces moments où elle ne faisait plus la part entre rêve et réalité, et n'avait plus conscience de ce qui s'était passé. Elle était presque heureuse, dans ces moments-là, elle oubliait le régicide et parvenait à accepter sa situation de reine, celle-ci étant devenue légitime à ses yeux. Elle regardait alors Macbeth avec des yeux plein de tendresse, presque tentatrice, comme si elle se réjouissait sincèrement de le voir.
« Oh, Gille... »
Mais ce n'était pas lui qu'elle voyait. Elle songea à l'époux qui n'avait jamais commis le meurtre d'un roi, l'époux qui n'était pas digne d'elle, mais qui ne l'avait pas souillée.
Il ne savait pas que faire pour l'aider. Il ne pouvait pas s'aider lui-même, Macbeth. Et puis, en avait-il vraiment envie ? S'il tendait la main à sa femme, il serait forcé de faire des efforts auxquels il ne pouvait consentir. Il aurait pu lui mentir en disant que leur acte n'était pas si grave que cela, qu'ils pouvaient encore atteindre le bonheur ensemble, qu'ils avaient atteint l'objectif qu'ils s'étaient fixés. Toutefois, cela n'aurait servi à rien. Elle l'aurait regardé de ses yeux vides, et il aurait dû s'acharner pour essayer de la convaincre.
C'était trop lui demander.
Alors il la regarda sombrer seule, se concentrant uniquement sur ses propres problèmes. Son amour ne pouvait rien, car Macbeth n'était pas homme à prêter attention aux autres. Il la laissa s'effondrer dans son coin, faisant l'oreille sourde à tout ce qu'elle pouvait lui dire, par peur d'être contaminé par sa folie. Car elle devenait folle, c'était de plus en plus manifeste. Elle délirait, échappant à la réalité pour ne plus souffrir. Macbeth aurait pu le lui dire, que cela ne servait à rien. Qu'elle ne serait en paix qu'après sa mort. Mais il ne dit rien. Le simple fait de devoir le lui expliquer était trop fatiguant, à ses yeux.
Elle ne pouvait que s'éteindre, telle une flamme que plus rien n'alimente.
Le cœur de Macbeth était mort avec elle. Comme si elle incarnait les dernières miettes de son humanité, la seule chose qui le forçait encore à rester dans le droit chemin. A sa mort, Macbeth n'avait plus de limites. Il pouvait tout faire - et ne rien faire en même temps. Il pouvait devenir le tyran le plus dur de toute l'Écosse. Ou le roi le plus laxiste de l'univers. Il oscillait entre les deux comportements, aspirant à l'oubli. Par moments, il aurait aimé rejoindre sa femme dans l'au-delà. Mais il n'avait pas sa force de caractère, il n'arriverait jamais à se suicider. Il ne pouvait que laisser la vieillesse faire son œuvre.
Ou attendre que quelqu'un s'en chargeât pour lui, même si c'était précisément ce qu'il ne désirait pas.
Il ne pouvait pas prétendre qu'il ne s'y était pas attendu. Son obsession n'était pas fondement, ses craintes étaient réelles. Mais le fait de vivre enfin le moment fatidique était-il si effroyable que cela ? Tenant son épée fermement, Macbeth luttait contre l'hilarité. Il ne pouvait pas s'en empêcher, tant la situation lui paraissait drôle. Il savait que cela devait arriver un jour. Il savait que la boucle devait se boucler. Que celui qui tuait un roi devait s'attendre à être tué un jour.
Comme il avait grandi, le fils de Duncan. Il n'avait plus rien à voir avec le garçon qui avait perdu son père de façon inattendue, c'était devenu un homme, la tête haute et une expression déterminée sur le visage. C'était un guerrier, désormais. Et Macbeth le toisa de ses yeux qui ne voyaient plus aussi bien qu'autrefois, avec un regain de motivation surprenant.
Il ne s'était jamais senti aussi jeune.
Comme si le fait de devoir faire face à la mort lui rappelait tout ce qu'il avait fait dans sa jeunesse, et tout ce qu'il n'avait pas fait. Ses erreurs et ses manquements lui revenaient à la figure, et il comprenait qu'il n'avait pas vécu l'existence qu'il aurait dû mener. Il s'était montré faible et méprisable. Un homme qui s'était illustré par ses exploits, mais qui n'était au fond rien d'autre qu'une épave, ballottée par les événements et ses propres sentiments contradictoires. S'il s'était battu proprement pour obtenir le trône, il ne serait pas menacé en cet instant. Il pourrait encore jouir de son trône, si durement gagné... Oui, sa décision avait été mauvaise.
« Mais, Malcolm, me rendre est tout simplement impossible. »
Il était l'éclat de ces jeunes années, il retrouvait la lumière qui l'avait animé sur le champ de bataille, et qui semblait l'avoir déserté ces derniers temps. Alors qu'il luttait pour sa survie, croisant le fer pour défendre chèrement sa peau et sa couronne, Macbeth était sublime. Plus qu'il ne l'avait jamais été de toute son existence. Il y avait du charme, à se battre seul contre Malcolm, d'autres nobles et les soldats qui désiraient rétablir la lignée légitime sur le trône.
Macbeth ne pouvait échapper à ces blessures, ces points de douleur qui le transperçaient à chaque coup. Il était au delà de tout espoir, il ne pouvait plus se défendre, alors il encaissait ces coups plus mortels les uns que les autres. Il n'aurait même pas le temps de mourir vidé de son sang. Il était assailli de toutes parts, et même s'il était fort, une forteresse ne peut résister à une force surhumaine.
Et Macbeth tomba.
Son agonie fut curieusement brève et agréable. Il avait toujours pensé que mourir était douloureux, et ce n'était pas faux, son corps était une souffrance ; mais il était heureux. La peur de se faire ravir sa place s'achevait aujourd'hui même. Et même s'il avait échoué, même s'il était un perdant désormais, il était rassuré de savoir que, désormais, il pouvait tout oublier.
Macbeth ne désirait pas se souvenir de son existence passée.
Et il but l'eau du Styx.
Le temps a passé, depuis. Macbeth ne se souvient plus de tout ce qui s'est passé, pas plus qu'il ne conserve un souvenir précis des siècles qui se sont écoulés avant la rencontre avec cet homme. Celui qui saurait exploiter ses capacités, lui offrir une nouvelle existence qu'il n'était pas capable de se construire par lui-même. La paresse venant au secours de l'apathie. Cette nouvelle vie est plutôt confortable. Travailler jusqu'à l'épuisement ne le dérange pas : ce n'est jamais que du travail du bureau, et l'homme sent qu'il aura l'énergie nécessaire pour s'en occuper sans briser. Désormais, sa vie se résume à une montagne de papiers, et un homme qui, par certains côtés, ressemble à un gamin dont il faut s'occuper. Une existence simple, un peu frustre, dont il s'accommode sans peine, et avec brio. Son efficacité ne fait plus le moindre but, et l'ancien roi s'est ainsi adapté à la vie du quartier de la Paresse - ou presque, à quelques détails près.
Et puis, c'est sa manière de payer Caliban. Ou, peut-être, d'expier quelque chose ? La mémoire lui fait défaut, il ne sait pas, et l'idée l'angoisse. Quels péchés a-t-il pu commettre ? Comment a-t-il pu être paresseux alors qu'il est si bosseur désormais, cela ne fait pas de sens...
Il préfère ne jamais se souvenir.