C'est une sensation puissante. Une sensation qui bat, martèle les coeurs. Souvent, la violence est telle qu'elle déchire la gorge. Ce sentiment est mortel. Dans les ténèbres de chacun, chacun se mouvant d'une foi vivante, il y a cette chose qui cogne dans les âmes. On appelle ça la colère. Le courroux dévastateur, la fureur impatiente. C'est une ivresse qui s'apprécie, une ivresse à laquelle on s'abandonne. C'est une des sept pernicieuses transgressions qui font la décadence de l'humanité.

Pathétique est l'état de ces corps ici bas. L'intérieur est si sombre, si creux, et si fermé que les hurlements raisonnent et les lames de la haine et de la peine blessent le semblant d'âme neurasthénique qui y survit temps bien que mal. Là, il n'y a pas grand-chose, juste des os et un peu de peau. C'est blanc et gracile. C'est un semblant de beau, mais dans les yeux c'est froid, c'est vide. Le grand patron des colombes blanches a choisi la décharnassions du coeur plutôt qu'une folie meurtrière.

Des fois la vie est injuste, elle pousse à faire de mauvais choix, à faire de mauvaises choses, et sans s'en rendre compte on s'éloigne du chemin. On se perd. Pourtant c'est pas toujours notre faute.

L'homme est faible. Et c'est comme ça.

En attendant le brouillard enveloppe le corps fragile, les yeux se posent sur l'eau du Styx et ils contemplent ce cadavre aux allures grotesques de marionnette.

Saint Michel à votre humble Service. Dans son extravagant habit de peau et de muscles humains. Il s’étire un instant, tel un chat, et l'eau sinistre redessine ses courbes, ses oreilles se tendant, à l'écoute des gémissements, des pleurs et des cris de l'humanité.

Tout ceci, au creux du creux provoque une vague de pitié chez l'ange à l'égard de toutes ces âmes esseulées et salit à cause du malin malfaisant. C'est toujours comme ça. Depuis la nuit des temps. L'archange en haut, avec sa balance pèse l'âme de chaque être revendiquant sa place auprès de la lumière. Et depuis un certain temps les essences se laisse aller aux flammes de l'enfer... L'humanité va mal.

Mais c'est ainsi. C'est comme ça. Y'a des choses qui ne tournent pas rond.

Dans un soupire l'entité se retourne et fait face à quelques-uns de ses acolytes.

« Vous en avez mis du temps... Certain aurait pu choisir plus discret comme enveloppe. »

Son regard vide se porte sur eux. Ils sont tous là, droits et fières. Ils dégagent quelque chose que lui seul peut voir, ressentir. Une force tranquille rassurante et familière pour lui. L'air semble malsain et vicié, il à l'impression que ça s’infiltre partout en "lui". Chaque morceau de sa peau, de son être. Adressant une prière silencieuse, il ferme les yeux. Il sait qu'ils n'ont pas le droit à l'échec mais ils sont les anges du Seigneur, rien ne pourraient barrer leur route. Ils sont le fléau de ces êtres de déchéance pourrissants ici bas.

Il sait qu'il ne devrait pas mais il ne peut s'empêcher de ressentir du mépris et du dégoût pour toutes ces âmes égarées et perdues à jamais. Sur le chemin du rendez-vous, il avait contemplé incrédule toute la lie de l'humanité se livrer à la débauche permanente. Serrant les poings il avait tracé le reste du chemin les yeux rivés sur le sol boueux qui menait au marais du Styx. Il ne c'était même pas risqué à laisser dériver son regard sur l'eau glaciale du Styx.

Les mortels ont pour la majorité une vision erroné de l'Enfer et du Paradis. Ils s'imaginent rôtir dans la lave à la moindre bavure, être torturés pour l'éternité par un Lucifer aux cornes et sabots rougeoyants.
Bien que l'Enfer ne soit pas qu'un vague monceau de terre en feu, l'ange considère qu'il est tout aussi désagréable d'y séjourner. C'est une véritable épreuve pour lui que de poser les yeux sur ces âmes rongées par la malice, ce pavanant dans le Royaume de Lucifer.

Lucifer... C'est un véritable sujet tabou dans la "famille" que d'évoquer leur frère déchu autrement que pour attiser la haine de ceux qui ne le déteste pas encore entièrement. Il pousse un soupir... Et si tout ça ne serait jamais arrivé ?... Parfois il se laisse aller à quelques pensées utopistes. Mais l'utopie ne devrait pas être le monde que Dieu à créé ? Il se fait tirer de sa torpeur par Michel qui prit la parole d'un ton un peu dédaigneux à son avis.

« Nous avons pris la première chose qui nous tombait sous la main. Du moins, pour ma part. »