Tell me a funny fucking story.
« La gourmandise commence quand on a plus faim. »
Kimber naquit un deux février mille neuf cent quatre vingt dix. Jour pluvieux, mais où les crêpes se préparaient afin de célébrer la Chandeleur. Peut-être était-ce un signe, peut-être pas. En tout cas, ce fut un comble. Elle était en effet la fille unique d’une famille qui n’avait presque pas de moyens et où cela se ressentait vivement. Repas maigres, voir absence de repas, habits pouvant être qualifiés de guenilles. L’amour est important au sein d’une famille, mais malheureusement ça ne la nourrit pas, pas du tout même. Aussi c’est à six ans que les services sociaux -alertés par le médecin qui avait ausculté la gamine pour sa santé médiocre peu avant- la retirèrent à ses parents pour la sous-nutrition évidente dont elle était victime, la lançant ainsi dans le train infernal des foyers et de l’attente d’adoption.
Heureusement pour elle, des couples qui voulaient adopter, il y en avait un paquet dans le coin. Et c’est finalement peu de temps après qu’elle trouva les deux perles qui la ramenèrent chez eux et lui donnèrent leur nom. Elle devint ainsi Kimber Barbara Wheno.
Retrouver la santé fut un combat pendant quelques temps, surtout dû au fait qu’il fallait l’habituer à manger correctement. On leur avait dit : laissez-la manger ce qu’elle veut, il faut qu’elle reprenne du poids. C’est à ce moment qu’elle découvrit -au milieu des placards emplis de nourriture de ses nouveaux parents- ce qu’étaient les sucreries. Gâteaux, bonbons, chocolat, nougat, elle se fit un plaisir de tout goûter. Pour ne plus arrêter. Cela devint vite, très vite son addiction. En guise de passe-temps, elle gardait et collait les emballages de tout ce qu’elle avait pu trouver de bon dans un cahier caché sous son lit. C’était un peu son tableau de chasse.
Bien-sûr, avec tout ça et les repas normaux, le train de vie meilleur, la petite retrouva rapidement la forme. Et la bougeotte. On lui diagnostiqua une hyperactivité évidente, qui n’était en rien arrangée par tout le sucre qu’elle ingurgitait. Or, le couple qui l’accueillait ne se voyait pas la priver de ça, considérant qu’elle avait déjà bien trop souffert de ne pas pouvoir manger ce qu’elle voulait par le passé. C’était une nouvelle vie qui s’offrait à elle et ils ne voulaient absolument pas la brider de ce côté-là, aussi ils durent s’habituer au fait de l’entendre parler vite, bouger tout le temps, courir dès qu’elle le pouvait, dire tout ce qui lui passait par la tête. Une enfant en pleine santé malgré tout et ça leur suffisait.
Enfin, jusqu’au jour où, malgré leur bonne volonté, ils furent obligés de réguler cet amas de sucre qui passait les lèvres de leur enfant. Les caries, le diabète, la prise de poids intensive, ce n’était pas des choses qui entraient en compte dans l’esprit d’une petite fille d’alors dix ans, mais pour ses parents ce n’était pas pareil. Et devant le manque de bonne volonté de leur fille lorsqu’ils avaient simplement voulu lui faire ralentir sa consommation, ils avaient tout simplement arrêté d’en acheter, de lui en procurer. Ils n’auraient pas dû.
C’était comme si Kimber s’était … « démoniser ». Adieu la belle enfant agréable malgré le fait d’être remuante, bonjour le petit démon colérique et sans morale. La petite se mit à voler ce qu’elle voulait manger dès qu’elle le pouvait : les boulangeries, les magasins un peu plus rarement. Elle racketta ses camarades de classe également, s’attirant les foudres des instituteurs et par extension, de ses parents. Elle était d’ailleurs exécrable avec ces derniers, leur menant la vie dure, poussant des caprices monstrueux. Se rendant à l’évidence, ils finirent par capituler, à bout de nerfs et refirent les stocks de sucreries pour ne plus jamais les laisser baisser.
Il en allait de leur survie mentale plus que de celle de la gamine.
Tout se calma à partir de là et elle redevint ce qu’elle avait toujours été avant cela. Une petite fille gentille et souriante, qu’on aimait avoir à ses côtés malgré tout.
Mais rien ne peut être trop beau, évidemment.
« On est puni par là où on a péché. »
C’est à l’aube de ses seize ans que le drame de sa vie se produisit, bien qu’elle ne voyait pas le mal dans ce qu’elle fit. Un fait stupide, à la base. Elle était désormais au secondaire et en sortait d’ailleurs bientôt, vu son âge. Kimber avait pris l’habitude d’emmener de quoi grignoter pendant les pauses : chocolat, bonbons, etc. Et plus particulièrement ces petites douceurs appelés Kinder. Elle raffolait de chaque type de ces sucreries, pourtant les Bueno avaient sa préférence.
C’est donc tout naturellement qu’elle sortit une de ces petites choses en sortant de l’école, pour ne pas s’ennuyer sur le chemin du retour à la maison. C’est alors qu’un goujat de sa classe, qui empruntait le même chemin, lui chipa son bien sans lui laisser le temps de dire ouf, ricanant comme un crétin.
Lui non plus n’eut pas le temps de dire ouf.
Voyant qu’il n’était pas près de lui rendre la gourmandise, la narguant volontairement et agitant le paquet bien haut pour qu’elle ne puisse l’attraper, elle se décida et n’eut pas à feindre la contrariété pour partir plus rapidement que lui, le garçon continuant de l’attiser en ouvrant l’emballage, faisant tout le bruit qu’il pouvait.
Kimber savait quel parcours il prenait pour rentrer chez lui, tout simplement parce qu’elle avait presque le même. Aussi elle l’attendit dans les petites ruelles faisant office de raccourcis et se cacha après avoir ramassé une grosse clé à mécanique qui traînait. Bien lourde, la clé.
Elle tenait sa vengeance.
L’emmerdeur ne put jamais avoir l’occasion de crier ou de simplement moufeter. Le coup qu’il prit derrière la tête l’assomma net. Et quand il fut à terre, l’adolescente n’y alla plus de main morte. Elle continua de frapper, à la tête, lui disant qu’il n’avait qu’à pas lui voler ses affaires, qu’on ne touchait pas à ce qu’elle voulait manger. Une fois satisfaite, essoufflée, elle se releva et lança son arme un peu plus loin.
« Bien fait pour toi. »
Ce calme mortel ne la quitta pas alors qu’elle rentrait chez elle, pas inquiétée le moins du monde, se disant que ce n’était que justice. La priver de sucre la rendait vraiment sans morale, le malheureux et infortuné garçon venait de le prouver une fois de plus.
Toutefois, elle ne sut jamais ce qui se passait quand on commettait un meurtre. La police, les procès, tout ça. Non. Car en se couchant, comme d’habitude, elle s’envoya quelques bonbons dans le gosier, histoire de passer la nuit. Dont un qui resta coincé dans sa gorge, l’étouffant.
On est puni par là où on a péché.
Une vie pour une autre, encore une fois, la justice avait frappé.
C’est ainsi qu’elle se réveilla dans un endroit sombre, qui n’avait pas l’air trop commode. Un homme la scruta, la jugea semblait-il, avant de déclarer qu’elle irait dans le quartier des gourmands.
Kézako ? Kimber ne comprenait rien. Jusqu’à ce que les souvenirs récents, jusque là en latence- remontent et lui donnent les réponses qu’elle souhaitait.
Elle était morte, tout simplement. Mais … ce n’était qu’un inoffensif bonbon pourtant. Qu’à cela ne tienne, si, dans cet endroit, elle pouvait encore obtenir ce qu’elle voulait manger, ce n’était pas très grave qu’elle ait passé l’arme à gauche. Elle était insouciante de nature et son acte ainsi que sa mort ne l’avaient pas fait changer. Autant dire que rien n’y arriverait, donc.
Le « juge » lui proposa également de boire de l’eau. Chose inutile de son point de vue, aussi après une grimace mêlant incompréhension, méfiance et souffrance émotionnelle devant pareille proposition, elle déclina et partit. Vraiment n’importe quoi les gens ici.
Pas bête, elle comprit rapidement que même si un quartier lui avait été attribué, ce n’était pas pour ça qu’elle pouvait se permettre de se tourner les pouces. Ni toit ni nourriture pour elle encore. Aussi elle se mit en quête d’un emploi. Elle savait cela possible vu qu’elle apercevait des boutiques, autour d’elle.
C’est d’ailleurs en arrivant dans ledit quartier -elle avait demandé son chemin à un passant, pas bête la guêpe- qu’elle trouva son bonheur, l’opportunité d’une vie, ou d’une mort, peu importe. Un poste de vendeuse en confiserie. La providence même. Après avoir bavé quelques minutes devant la vitrine et la petite pancarte indiquant que le patron recherchait quelqu’un, elle entra finalement, déclarant directement le pourquoi du comment de sa venue.
Et une fois en entretien avec le gérant du magasin, cela ne mit guère de temps avant que Kimber ne soit prise. Un amour si immodéré des sucreries, une telle volonté, motivation pour travailler ici, ça ne se trouvait pas à tous les coins de rues ! L’affaire fut conclue en deux-temps trois mouvements, le contrat signé. Elle se fichait bien de commencer à travailler presque toute suite, ça l’arrangeait même !
Pour parfaire cette entrée en matière et après avoir discuté un peu -difficile vu l’engouement et l’hyperactivité renouvelée de l’adolescente-, son tout nouveau patron lui proposa d’occuper l’appartement au-dessus de la confiserie. En effet, il avait bien saisi qu’elle venait d’arriver, aussi ça ne servait à rien de la laisser à la rue. De toute façon, il prélevait ainsi lui-même son loyer de la paie de la petite et il la gardait à l’œil, en cas de problème, par-dessus le marché. D’une pierre deux coups, comme on dit.
C’est ainsi que démarra cette nouvelle « existence » pour Kimber et loin de s’inquiéter, elle en profita simplement. Piochant dans les réserves de la boutique pour satisfaire son addiction, vantant les mérites des friandises qu’elle aimait tant à longueur de journée et esquivant les engueulades de son très cher et bien aimé patron, elle était heureuse.
Oui, tout simplement.
Ce n’était pas l’Enfer ça, c’était le Paradis.