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 ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]

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Narcisse E. Céphise Narcisse E. Céphise
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MessageSujet: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyLun 5 Mai - 0:22

Pour un parfum de romantisme noir...







" Oh ! qu’il est doux, quand l’heure tremble au clocher,
la nuit, de regarder la lune qui a le nez fait comme
un carolus d’or !"


La Grande Cathédrale. Immense paradoxe architecturale, elle se dressait au centre du sixième Quartier, étirant ses voûtes jusqu'à celles des infernaux cieux. Quoi de mieux que cette bâtisse, pour symboliser ce que l'espèce humaine chrétienne et plus aveugle que Tirésias, appelle le premier des pêchés - l'orgueil ? De quelle autre excentricité aurait pu faire preuve Lucifer, dans sa diabolique inventivité, pour incarner les valeurs de Narcisse, hors de ces ogives vivantes, ni romanes ni gothiques ? Car l'ironie était telle, que ce pied-de-nez minéral avait dû être construite spécialement pour lui. Qui en aurait mieux profité ?

"Deux ladres se lamentaient sous ma fenêtre, un chien
hurlait dans le carrefour, et le grillon de mon foyer
vaticinait tout bas."



Narcisse aimait ces paradoxes. L'idée ne lui serait jamais venue de se plaindre de son arrivée aux Enfers. On apprécie le Paradis pour son confort, mais l'Enfer est meilleur par ses fréquentations... Narcisse au Paradis ? Il en aurait été rapidement las, car comme on dit ici : "le Vice amuse, et la Vertu fatigue". Cette quête désespérée de bonheur et de quiétude, de quelle déchéance humaine ne témoigne-t-elle pas ! Alors qu'en ces lieux maudits, l'homme avisé pouvait enfin sentir la mesure de sa puissance, la laisser enfler en lui, et en faire le moteur de ses actions jusqu'à ses surpasser lui-même.

C'était cette ivresse que ressentait Narcisse, seul, campé au sommet de l'estrade de menant à l'autel surélevé, au centre du choeur. Il aurait été inconvenant d'appeler ce sentiment salutaire "joie de vivre", d'autant que l'émotion réelle, presque esthétique, dont jouissait Narcisse à cette minute, était loin de cet élan frivole, et se rapprochait plutôt à un grand "oui" adressé à la vie - ou plutôt à la mort -, à chaque instant qui lui était offert ici et à son éternel retour.


"Le chien avait enfilé une venelle, devant les pertuisanes
du guet enrouillé par la pluie et morfondu par la bise."



La cathédrale était baignée par une pénombre qui n'était troublée que par la lueur des centaines de cierges brûlant çà et là, parfois enfermés dans des bougeoirs de verre rouge qui projetaient des lueurs écarlates et fantomatiques sur les murs de pierre. Au dehors, il faisait nuit.


" Et le grillon s’était endormi, dès que la dernière bluette
avait éteint sa dernière lueur dans la cendre de la cheminée. "



Et ce son... quelqu'un jouait de l'orgue, et des immenses tubes métalliques s'échappaient des notes graves qui n'étaient sans doute pas étrangères à l'état proche de la transe où était plongé Narcisse. Et quand, entre les morceaux, l'orgue se faisait silencieux, alors c'était la cathédrale qui semblait continuer de respirer ; le moindre son était amplifié au centuple et semblait se répéter à l'infini : l'écoulement de l'eau bénite s'échappant d'un bol brisé, la chute d'une pierre, et la voix de Narcisse qui déclamait.

" Et moi, il me semblait, – tant la fièvre est incohérente ! -
que la lune, grimant sa face, me tirait la langue comme
un pendu ! "


Narcisse tourna la page du reccueil rouge à la reliure or, sans entendre la lourde porte tourner sur ses gonds, laissant entrer celui qui aurait le malheur de le tirer de sa sombre rêverie.




Dernière édition par Narcisse E. Céphise le Sam 24 Mai - 18:49, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyLun 5 Mai - 20:35




Si la vie est pleine de surprise, force est de constater que la mort n'est pas en reste – qui plus est lorsque l'on se voit attribuer les pénates infernales pour tombeau. Telle était la Cathédrale du quartier de la superbia : une surprise. D'une acidité mordante certes, puisqu'il fallait bien s'écorcher la dent sur ce vernis dès lors que l'on souhaitait croquer dans n'importe quelle entité constituante de cette nouvelle existence, mais une surprise à vous faire bondir tout de même.
Loin de se lasser de ces railleries qui ponctuaient son séjour aux Enfers, Marguerite n'avait pu résister à l'envie de voir de ses propres yeux l'objet en question. Fièrement plantée dans le coeur du quartier, la Cathédrale rayonnait de tout l'éclat que la demeure des damnés pouvait lui donner. Pas de quoi faire pâlir le Soleil des vivants, bien sûr, mais un éclat digne de cette outrecuidance si caractéristique des habitants des lieux.

D'emblée, le souvenir de tous ces poètes décadents qui avaient marqué le XIXe lui revinrent en mémoire, avec leur foule audacieuse de visions, les fioritures plus ou moins osées de leur style, et cette image romantique qui traînait dans l'ombre de leur nom le siècle d'après. Beaucoup d'entre eux devaient errer par ici désormais.


Voyons de quoi la sainteté peut avoir l'air ici-bas, songea Marguerite.


Elle gravit les imposantes marches sans perdre une miette des ornementations dont se couronnaient les larges portes. Il lui semblait voir se dessiner des rictus partout où l'art se laissait emporter. Comment considérer un tel édifice, dans une pareille situation, sinon comme une immense plaisanterie lancée à la face des cieux ?
Malgré son observation scrupuleuse du monument, Marguerite ne s'était toujours pas départie de la moue d'indifférence qui lui barrait habituellement le visage. A quoi bon chercher plus loin après tout ? Cela ne la concernait en rien directement. Elle se fichait auparavant des gazouillements séraphiques comme des cris lugubres des damnés – elle se fichait tout aussi bien de ce que les deux partis pouvaient s'envoyer dans les dents.
Pour autant, un réel sentiment d'intérêt, sinon d'admiration, chatouillait son coeur tandis qu'elle découvrait l'endroit. Partie avec un certain à priori de ce que devait donner une Cathédrale bâtie dans les bas-fonds des Enfers, la regarder en face une bonne fois pour toute la forçait à nuancer son opinion. Devant la bête, Marguerite se surprit à admettre qu'il y avait plus que cette légèreté caustique qu'elle lui avait d'abord imaginé. Malgré la majesté ostentatoire de la construction, sans doute plus époustouflante que tout ce à quoi ses comparses de l'autre monde pouvaient jamais prétendre, il y avait là, planant au-dessus des choses sans oser s'y poser, une tragique sensation de ce qui semblait être de l'authenticité. Combien étaient ceux dont la foi n'avaient pu les porter assez haut pour échapper aux bras de Lucifer ? Combien étaient ceux dont la piété n'avait pas souffert de cette destinée, et dont les pas n'avaient eu de cesse, même en ces lieux perdus, de trouver le chemin vers la Croix ?
Marguerite s'immobilisa un instant, la main sur l'un des battants de la porte. A combien de réfugiés, d'exilés, d'apatrides, cette dernière avait-elle accordé un dernier espoir déçu ?

Avec un grincement sinistre, la porte céda à la pression de sa main. L'écho s'en répercuta longuement sous les lointaines ogives, comme s'il répétait incessamment le souvenir des pleurs versés sous cette voûte maudite.
Marguerite chassa bien assez vite ces considérations, qui l'éloignaient de l'objectif principal de sa visite. Avant tout chose, elle était là pour voir, pour repaître l'appétit de son regard dans toute les curiosités que pouvaient offrir les Enfers. Mais elle ne dut pas l'interruption du fil de ces pensées rebelles qu'à sa propre intervention, oh que non. A l'écho se mêlait, alors qu'elle poussait la porte, celui, plus subtil et plus doux, d'une voix. Quand le premier se dissipa dans l'espace de la nef, le second se distinguait encore...


« … comme un pendu ! »



Suivirent d'autres paroles qui ne semblaient être adressées à personne. Confuse, Marguerite comprit qu'elle débarquait au milieu de quelque chose. Elle chercha du regard de quel malheureux être humain pouvait provenir ces mots qu'elle avait abruptement surpris, et constata qu'ils venaient de l'estrade. De prime abord, elle faillit poursuivre sa recherche, tant l'apparition semblait se fondre dans le décor. Sa chevelure flottante, son aura si particulière qu'on ne pouvait déjà plus y échapper à cette distance, lui faisait d'office rejoindre le rang des créatures mystiques représentées dans la Cathédrale.
Lorsque Marguerite vit qu'elle n'avait pourtant à faire à nul autre être animé dans la salle, elle dut se rendre à l'évidence. Poussant le lourd battant avec plus de précaution cette fois, afin de ne pas salir davantage l'atmosphère et ne rien perdre des étranges propos du visiteur, elle se résolut à s'approcher sans bruit de l'estrade où celui-ci déclamait. Lorsqu'elle y parvint, elle ne fit plus un mouvement, perdue dans la contemplation de ce qui l'entourait, et attendant que l'autre achève ce qu'il avait commencé.





Dernière édition par Marguerite A. Ivanovitch le Mar 6 Mai - 14:21, édité 1 fois
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Narcisse E. Céphise Narcisse E. Céphise
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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyLun 5 Mai - 22:02



" Je te frapperai sans colère
Et sans haine, comme un boucher,
Comme Moïse le rocher !
Et je ferai de ta paupière,"


Narcisse avait fermé le reccueil des Fantaisies de "Gaspard de la Nuit", s'était penché vers le bas de l'autel, caché du public, où une petite étagère fermée à clé était intallée. Il avait tiré un cordon qu'il portait sous ses vêtements où pendait plusieurs clés, dont une petite argentée dont il s'était servi pour ouvrir l'étagère à la porte de verre. Là reposaient plusieurs vieux reccueils de poésie, majoritairement romantique. Où les avaient-ils eus ? C'était son secret...


" Pour abreuver mon Sahara,
Jaillir les eaux de la souffrance.
Mon désir gonflé d'espérance
Sur tes pleurs salés nagera "



Il y avait reposé "Gaspard de la Nuit", pour en tirer un autre recueil à la couverture mauve sombre. Il s'était redressé de toute sa hauteur pour le simple plaisir de surplomber une fois de plus l'entière cathédrale, avait ouvert le recueil au hasard, et s'était remis à déclamer sans entendre l'ouverture pourtant sonore de la porte dont les gonds manquaient d'huile. L'entretien de la cathédrale laissait à désirer ? S'adresser aux adeptes du grand Narcisse. Lui n'en avait cure : cette tâche ne lui était pas dévolue.

" Comme un vaisseau qui prend le large,
Et dans mon coeur qu'ils soûleront
Tes chers sanglots retentiront
Comme un tambour qui bat la charge ! "


Que de paradoxes et de contradictions ! Comment un homme qui n'aimait que lui pouvait autant apprécier les mots d'autrui ? La philosophie d'autrui ? Peut être parce qu'en les prononçant à haute voix, il se sentait vivre par ces voyelles sonores qui lui semblaient tout droit sorties de sa riche imagination... Narcisse ne se posait en fait pas vraiment la question, et tant que personne ne le forçait à faire face à ces contradictions, il n'aurait pas à s'en soucier. Sans compter que son amour pour la poésie et la philosophie n'était connu que de ses plus proches adeptes.

" Ne suis-je pas un faux accord
Dans la divine symphonie,
Grâce à la vorace Ironie
Qui me secoue et qui me mord ? "



Quelle métaphore ! Remplacez "divine" pas "infernale", et cela aurait été parfait. Cette strophe correspondait tant à l'instant, d'autant que l'orgue avait entonné un offensif morceau de Wagner, compositeur pour lequel le Gourou des Orgueilleux devait pourtant reconnaître une certaine admiration - à la limite du raisonnable, alors autant que cela ne sache pas et "tempérons de telles idées !".
Narcisse était parfois soulagé que ses pensées ne s'entendent pas. S'il existait en enfer une personne pouvant lire dans ses pensées, il n'aurait de cesse de s'en débarrasser. Toute cohabitation serait impossible : il aurait l'impression de devoir partager son moi, chose totalement inconcevable quant on se tenait soi même en si haute estime.

Mais au fait, qui était l'organiste caché ? S'agissait-il d'Elizabeth Percy, ou quelqu'un d'autre avait-il pris sa place auprès du majestueux instrument ? Il faudrait le vérifier. Narcisse était dans l'un de ces moments où il ne valait mieux pas qu'on le voie. Non que sa dignité soit moindre que d'ordinaire, mais il avait l'impression, dans ces instants de transe esthétique, de laisser se révéler un pan important de sa personnalité, qu'il aurait préféré laisser voilé.

De toutes façons, l'organiste devait être entouré d'un son trop vif pour s'apercevoir d'une présence dans la cathédrale. Il faudrait tout de même qu'il aille s'enquérir de l'identité de l'organiste : aller jouer au beau milieu de la nuit, cela restait bien curieux pour le commun des mortels, même si c'était totalement compréhensible pour Narcisse, sensible à ce genre d'oiseaux de nuit.

" Elle est dans ma voix, la criarde !
C'est tout mon sang, ce poison noir !
Je suis le sinistre miroir
Où la mégère se regarde. "



Narcisse marqua un temps.

- Le Miroir...


Il leva les yeux, rêveur, vers les hautes voûtes s'élevant à plusieurs pieds de distance : un immense miroir était incrusté dans la paroi surplombant l'entrée principale, au dessus de la nef. C'était sans doute le seul détail qui tranchait avec les cathédrales construites dans le monde des mortels. Quelle ingéniosité de l'architecte ! Narcisse savait qu'il n'était pas le seul à aimer s'y contempler. Voyant son propre visage de loin, éclairé par la lumière des bougies qu'il avait disposées sur l'autel, il demeura pendant quelques secondes dans une sorte d'extase, parcourant du même coup le reflet entier, montrant l'étendue de la nef jusqu'au chœur au milieu duquel Narcisse se tenait.

L'orgue s'arrêta. Soudainement, Narcisse se figea dans un sursaut. Tout en bas, dans le reflet, il avait cru percevoir un mouvement. Il avait dû rêver, et pourtant... il fixa le miroir, fronçant légèrement les sourcils, tentant de discerner la forme visible de dos dans le reflet. Pas d'erreur possible : il n'était pas seul. La hauteur de l'autel ne lui permettait pas d'apercevoir la personne qui se tenait là. Tant de noctambules en une nuit dans ce lieu saint, cela n'était pas naturel. L'organiste ? Il venait à peine de s'arrêter de jouer et ne pouvait pas être descendu si vite. Alors, qui ?

Narcisse ferma silencieusement le livre dont se dégagea alors une volute de poussière qui provoqua chez lui une légère toux. Irrité de ce nouveau signe de faiblesse qu'il venait de laisser échapper, Narcisse posa le recueil sur l'autel, et descendit lentement les marches du côté opposé à celui où se tenait la silhouette inconnue, espérant la surprendre.




Dernière édition par Narcisse E. Céphise le Mar 6 Mai - 19:13, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyMar 6 Mai - 14:22



Alors que l'illustre inconnu semblait embrayer sur un nouveau sujet de récitation, Marguerite décida de s'aventurer plus avant dans la Cathédrale. Environnée comme elle l'avait été de musique tout au long de sa vie, et de bruit depuis sa mort, ce qui se jouait en arrière-plan n'avait pas tout de suite attiré son attention. Pour elle, la musique imprégnait toute chose, émanait de toute entité comme un souffle essentiel, aussi le lieu aurait-il été plongé dans le silence qu'elle y aurait tout de même lu quelque mélodie. Si cette conception n'apparaissait certes pas avec clarté dans son esprit, il n'empêche qu'elle l'appliquait inconsciemment au monde qui l'entourait.
Curieuse de voir quel génial somnambule pouvait bien s'être donné la charge de ramener à la vie le puissant instrument, Marguerite voulut s'en approcher. Mais c'était sans compter les imprévisibles ressorts de la mémoire. Alors qu'elle s'éloignait de l'estrade, toujours à portée de voix de son occupant, l'oreille de la jeune femme tinta : les vers qu'il psalmodiait ne lui étaient pas inconnus. Bien qu'il lui fût impossible de reconstituer le contexte dont ils étaient issus, Marguerite les accueillit, alors que l'individu entamait la deuxième strophe, avec un sourire gratifiant. Parmi les brefs mais vifs plaisirs de l'existence, celui de voir son sentiment esthétique stimulé, piqué par quelque référence artistique, ravissait tout particulièrement son coeur.

"Comme un vaisseau qui prend le large,
Et dans mon coeur qu'ils soûleront
Tes chers sanglots retentiront
Comme un tambour qui bat la charge !"


... poursuivait la créature aux blonds cheveux, et Marguerite revint sur ses pas. Un peu éloignée de l'estrade, elle en avait maintenant une vue globale, ainsi que de celui qui s'y tenait. Cette fois, elle put observer à loisir cet être qui lui avait fait une si étrange impression. Il n'était pas rare, au fond des Enfers, de croiser le chemin de personnalités à l'aura absolument foudroyante, aussi la surprise cédait-elle vite le pas à la contemplation. Cet énergumène-là semblait littéralement auréolé de splendeur. Fièrement dressé sur son estrade, et au vu de la situation du quartier, il illustrait à merveille l'idée de démesure. Tout droit sorti d'un autre temps – c'était bien là un trait caractéristique des habitants des lieux – il se rapprochait de l'idée qu'elle se faisait d'un prince baroque. Pour autant, quelque chose de plus ancien semblait figer ses traits dans un marbre pur, au demeurant si finement taillé qu'on aurait volontiers cédé à la confusion : hors du temps, hors des classes, c'est à peine s'il pouvait appartenir au rang des humains.
Marguerite sentait par ailleurs qu'il y avait autre chose qu'un simple damné derrière ce visage glacé. Sans doute était-il mort depuis bien plus longtemps que leurs comparses maudits.

La jeune femme poursuivit son chemin, incapable, pour l'heure, de résoudre ce mystère. Faute d'informations complémentaires, et rétive à l'idée de couper l'étranger dans son élan, elle préféra écouter la suite du poème tout en découvrant la Cathédrale. Elle songea un instant qu'au vu de la liberté que s'octroyait le personnage, ce lieu devait lui être familier. Peut être, après tout, que cette sensation de grandeur qui l'entourait découlait de quelque responsabilité particulière. Marguerite n'avait pas encore eu l'occasion de rencontrer les personnalités « importantes » des Enfers, sinon le jour même de son arrivée, et cette perspective ne la tentait pas spécialement. D'une manière générale, et bien que tout type d'individus suscite son attention, dès qu'on approchait des hautes sphères, elle ressentait le besoin de s'éclipser. Certes pas par timidité, non, mais pour ne rien perdre de l'intense satisfaction qu'elle trouvait à se mouvoir hors de portée de toute autorité, qu'elle soit informelle ou établie. Si l'intemporel et inclassifiable quidam venait à prendre conscience de sa présence, que des présentations s'en suivaient et qu'il s'avérait difficile, Marguerite aurait tôt fait de se soustraire à sa compagnie.
Pour l'heure, seule sa curiosité l'emportait, aussi décida-t-elle de ne pas s'emporter davantage.

Décrivant un arc de cercle autour de l'estrade, elle quitta peu à peu le personnage des yeux pour reprendre son étude des lieux. Elle remarqua alors l'immense miroir qui surplombait des larges portes, inconcevable lubie d'un architecte dont l'audace n'aurait pu se déployer ailleurs qu'ici bas. Avec ce qu'elle imaginait être un sourire amusé – donc guère plus qu'un subtil retroussement de ses lèvres noires – Marguerite conclut que la blonde créature, dans sa superbe, trouvait parfaitement sa place sous le toit de ce singulier édifice.
Comme par un fait exprès, alors qu'elle reportait son attention sur un nouvel objet, elle fut vivement rappelée au précédent. La voix s'était interrompue l'espace d'un instant, avant de reprendre, voilée, presque murmurée, comme tirée du plus profond d'un songe...


- Le Miroir...


Songeant que le lecteur devait avoir été brièvement tiré de sa rêverie par l'étrange clin d'œil que le poème faisait à la réalité environnante, Marguerite attendit qu'il reprenne. Au lieu de cela, l'autre source sonore se tarit à son tour, le joueur d'orgue étant arrivé au bout de son morceau. Seul le bruissement étouffé du tissu de son pantalon, au niveau où ses genoux s'effleuraient, parvenait à ses oreilles. Des sens plus affutés lui auraient permis de distinguer un soupir du côté de l'estrade, mais Marguerite se perdait déjà dans le détail des gravures d'une colonne, sur sa gauche. Ses yeux voletaient sur toute la surface de la pierre, intrigués, seules étincelles animées sur son visage où ne perçait nulle émotion. Elle n'entendit pas davantage les pas feutrés de l'inconnu s'approcher, mais alors que son regard suivait la courbe montante de la colonne, désireux de ne rien perdre de la continuité du motif, il advint qu'elle dut se décaler et pencher la tête de biais. Son champ de vision s'élargit et, conséquemment, lui fit prendre conscience du mouvement qui s'avançait.
Marguerite se raidit et pivota complément pour faire face à l'inconnu. Voir son visage de si près accentua sa sensation de se figer sur place, d'autant qu'il lui semblait y lire ce qui devait être un début d'agacement. Elle inspira calmement afin de déclarer d'une voix posée :


- Bonsoir. J'ignorais trouver tant de vie, ici, à cette heure.


Comme à son habitude, ses mots étaient consciencieusement choisis pour ne peser que le minimum et ne lui voler qu'un semblant de voix. Par eux, Marguerite entendait s'excuser de sa présence et de la potentielle gêne que son interruption – si l'individu la considérait comme telle – avait pu occasionner. Elle n'ignorait pas que cette subtilité pouvait ne pas sauter aux yeux, aussi comptait-elle sur la naturelle humilité avec laquelle elle s'exprimait habituellement pour clarifier son intention.

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Narcisse E. Céphise Narcisse E. Céphise
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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyMar 6 Mai - 19:07



Narcisse avait beau paraître décidé lors de sa descente du petit escalier dont la courbe embrassait le tour de l'estrade aux bords circulaires, il agissait sans avoir réellement réfléchi à ce qu'il ferait une fois l'intrus surpris par sa présence dans son dos. Tout dépendrait de sa réaction. Il contourna discrètement l'autel, mesurant ses pas, veillant à ne produire aucun son. Il lui semblait que le moindre frottement produit par son long manteau, le moindre bruit mat produit par la rencontre de ses bottes et des dalles de marbres, se répercutaient à l'infini dans les moindres recoins du lieu, embrassant les voûtes et les ogives de la cathédrale, et troublant l'air ambiant, de sorte que l'inconnu ne tarderait pas d'être averti de son approche... Pourquoi l'orgue avait-il choisi cet instant pour s'arrêter ? Le silence semblait peser sur l'atmosphère déjà sombre, en exacerbant la tension.

Et soudain, il l'aperçut. Une silhouette sombre, plus sombre que la sienne sans doute, car en plus de porter des vêtements amples aussi foncés que ceux qu'arborait Narcisse, l'inconnu poussait la discrétion jusqu'à faire fondre son visage dans l'obscurité grâce à une chevelure courte et aussi noire que le jais. L'inconnu, ou l'inconnue ? Narcisse n'aurait su l'affirmer ; peut être se trouvait-il face à une personne aussi androgyne que lui. La suite des événements le démentit toutefois, car, d'un mouvement vif, la silhouette se retourna.

Narcisse était, sans hésitation possible, face à une jeune femme, bien que ses vêtements trop larges, ses traits d'une certaine dureté et son étrange tenue la différenciaient nettement de beaucoup de ses semblables. Et curieusement, face à Narcisse, elle apparaissait comme son exacte antithèse.


* Au coin de mon feu vint s'asseoir
Un étranger vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère. *



Définitivement, non. Comment Narcisse aurait-il pu porter une once d'estime à celle qui différait à ce point de son illustre personne ? D'un autre côté, cela le rassurait sur son unicité. L'inconnue, échevelée, le dévisageait ; mais il n'arrivait pas à saisir son regard tant celui ci était sombre et souligné de noir. A son plus grand agacement, elle le dépassait de plusieurs centimètres. L'orgueilleux personnage lui rendit son regard, la fixant sans un mot. Il aurait aimé la voir baisser les yeux. Mais au lieu de relever ce défi muet, la jeune femme joua la carte de la fausse banalité. Elle inspira, et déclara d'un voix qu'elle aurait peut être voulue calme et sûre d'elle :

- Bonsoir. J'ignorais trouver tant de vie, ici, à cette heure.

Narcisse, d'abord, ne répondit pas. Voulait-il l'impressionner ? Il n'avait à cet instant aucun dessein précis, laissant pour un court moment son instinct se faire le maître de ses actions.

- A vrai dire, moi aussi. Que faîtes-vous là ? lâcha-t-il sur un ton las, qui laissait deviner une once de réprimande. Aucune règle n'interdisait l'accès à la cathédrale la nuit. Mais le maître des lieux se sentait d'humeur à en inventer une pour l'occasion.

Pourtant, un reste de curiosité lui fit mesurer ses paroles. Non pas de curiosité envers cette personne, bien que mystérieuse, mais curiosité de l'instant : Narcisse se sentait d'humeur malicieuse. Il était près à faire confiance au hasard.

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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyMer 7 Mai - 11:27



Maintenant face au fier personnage, Marguerite ne put s'empêcher de constater que la semelle compensée de ses creepers le lui faisait dépasser d'une bonne tête. Bien qu'elle n'eut rien à envier à personne concernant sa stature, il eût suffi qu'elle ait troqué sa paire de chaussures fétiches contre d'autres pour perdre ce maigre avantage. Intérieurement, la jeune femme se félicita de ce petit plus que lui octroyait le destin, et sans lequel elle aurait résolument eut du mal à garder sa contenance. Même si elle n'avait en rien le sentiment de devoir se justifier devant quiconque, il lui semblait salutaire de ne pas être forcée d'ajouter à l'éclat d'un tel être l'affront d'avoir à le regarder d'en bas.
Ce qui devait donc être un jeune homme – le doute commençait maintenant à s'estomper – mit une minute ou deux avant de répondre, pendant lesquelles Marguerite eut la désagréable impression qu'il la toisait du regard. Sans doute était-il en train de se décider quant à la manière dont il allait apostropher l'importune. Son expression ne laissait en tout cas rien présager de bon, quoiqu'une poussière d'autre chose semblait s'y mêler – trop peu pour être de l'intérêt, mais peut être assez pour correspondre à de la curiosité. Après tout, il n'y avait rien de commun à rencontrer quelqu'un de nuit dans une Cathédrale, même en Enfer. Marguerite voulut croire que derrière l'agacement devait poindre une certaine perplexité. Pour l'heure, c'est la seule chance qui semblait pouvoir la mettre à l'abri des foudres, qu'elle devinait dans le regard sombre de l'inconnu.


- A vrai dire, moi aussi. Que faîtes-vous là ?


Le sourcil de Marguerite s'arqua brièvement, sous l'impulsion d'un sentiment qui, n'eût été son laconisme, se serait mué en un sursaut. Mais elle n'était certainement pas du genre à laisser paraître ses émotions en si fâcheuse posture. La réflexion du jeune éphèbe ne la surprenait pas tant que le ton qu'il avait employé. L'espace d'un instant, elle comprit que son intuition avait quelque chose de juste. Le blondin devait avoir quelque haute responsabilité en ces lieux, d'où l'air désinvolte avec lequel il avait prononcé ces mots, comme s'ils faisaient partie intégrante de l'emploi qu'il occupait ici. Mais la situation laissait soupçonner qu'en ce moment précis, ce qui l'avait poussé à s'exprimer de la sorte n'avait pas tout à fait à voir avec ses obligations. Marguerite se souvenait être entrée alors qu'il récitait quelque poème, aussi supposa-t-elle que le jeune homme devait s'être trouvé embarrassé dans l'exercice d'une activité toute personnelle.
Toutefois il semblait trop tôt pour tirer des conclusions. L'étranger n'en demeurait pas moins un curieux spécimen, qui devait à coup sûr échapper à l'analyse qu'on pouvait être tenté d'en faire.
Le bref instant que dura l'effet de surprise, il sembla à Marguerite qu'un tel ton, une telle expression et un tel personnage devaient être l'équation ultime, capable de briser n'importe quel enthousiaste dans son élan. Elle-même, alors que soufflait dans la Cathédrale un courant d'air frais, propre à ce type de bâtisse, n'avait réprimé qu'à grand peine un frisson, alors qu'un vif sentiment d'inconfort nouait véritablement ses entrailles. Ce bonhomme en tout point angélique par ses traits paraissait avoir le pouvoir de déstabiliser quiconque l'approchait. Et encore, l'on devinait aisément qu'il s'agissait encore là du moindre de ses pouvoirs.
Ne souhaitant pas s'attarder plus longtemps sur ces considérations, Marguerite reprit la parole, d'une voix qui reprenait son timbre usuel, un peu traînant, détaché. Maintenant qu'elle avait observé et décortiqué la situation, ainsi que ses propres impressions, la jeune femme se sentait plus confiante. Si elle avait importuné le maître des lieux, alors rien ne la retenait plus ici, et rien n'était plus facile que de s'excuser. Après tout, elle n'avait plus grand chose à perdre.


- Simple visite nocturne. Fantaisie passagère. Je ne pensais déranger personne.


Marguerite fit une pause, scruta les traits de son interlocuteur, attentive à toute réaction. Comme lorsqu'elle imaginait voir un échange s'approcher de sa fin, toute crainte de la confrontation la quittait. Elle plongea ses yeux noirs dans le regard sombre et tout aussi impénétrable que le sien. C'était pour elle une façon de témoigner son respect et la sincérité de ses paroles :


- D'autant que vous semblez régir ces lieux. Je vous prie de m'excuser.


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Narcisse E. Céphise Narcisse E. Céphise
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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyMer 7 Mai - 22:36



A la question posée sur un ton légèrement sec par Narcisse, la jeune femme eut un très bref mouvement de surprise et laissa également passer quelques secondes avant de répondre, pesant sans doute ses mots. L'impressionnait-il ? Le prince des Orgueilleux n'en doutait pas une seconde, et un vague sentiment de satisfaction qui lui était familier vint s'ajouter à l'agacement et au trouble qu'il avait d'abord ressentis, d'être découvert dans un pareil moment.

Qui cette jeune femme semblant apprécier l'obscurité jusque dans sa tenue vestimentaire et dans ses habitudes nocturnes pouvait-elle être ? Le premier coup d'oeil que lui avait jeté Narcisse lui avait bien donné une petite idée du personnage, mais sans qu'il puisse placer un nom sur ce visage. D'un autre côté, Narcisse était peu physionomiste, et accordait si peu de cas à la majorité des nombreux adeptes gravitant autour de lui tous les jours, et qu'il considérait comme une masse de corps et de voix élevées en son honneur, qu'il en venait régulièrement à confondre les personnes qu'il ne connaissait que de vue et à en oublier certaines. Il n'aurait donc pu dire s'il avait déjà vu cette femme, ou pas. Il était peu probable qu'elle appartint à son entourage d'orgueilleux, car d'après son ton d'une fausse banalité, elle ne semblait pas l'avoir reconnu. De plus, sa visite nocturne de la cathédrale n'était sans doute pas régulière, et Narcisse y était d'ordinaire seul à cette heure. Etait-il possible qu'elle ne l'ait jamais vu ?

- Simple visite nocturne. Fantaisie passagère. Je ne pensais déranger personne.


Toujours ce ton un tantinet détaché, quoique apparemment respectueux. "Fantaisie passagère"... Cette expression ne déplaisait pas au lecteur des "Fantaisies" de Gaspard de la Nuit. La suite passait pour plus déplaisante, bien que ce ne fut sans doute pas l'intention de son interlocutrice.

- Personne...! répéta-t-il doucement.

Elle déclarait cela nonchalamment, comme s'il avait été possible de ne pas s'apercevoir de sa présence, alors que c'était sans conteste celle ci qui donnait son aura à la bâtisse ? Soudainement, la jeune femme leva les yeux et les plongea dans ceux de Narcisse, dans un geste dont qu'il n'aurait su interpréter l'intention - sarcasme ou sincérité, respect ou défi. Il soutint le regard sombre de son interlocutrice qui reprit :

- D'autant que vous semblez régir ces lieux. Je vous prie de m'excuser.

Elle ne l'avait donc en effet pas reconnue ! Comment était-ce possible ? La jeune femme semblait vouloir prendre congé. Cela aurait sans doute été préférable pour Narcisse qu'elle ne sache jamais que le Gourou des Orgueilleux déclamait de la poésie romantique, juché sur un piédestal de "sa" cathédrale, qui plus est au beau milieu de la nuit ! Et pourquoi, un léger sursaut d'orgueil - quoi de plus naturel ? - teinté d'une once d'extravagance l'empêcha de la laisser partir de cette façon.

* Laisser faire le hasard, pourquoi pas. Mais Narcisse sait aussi lui forcer la main quand cela s'avère nécessaire... * pensa-t-il avec amusement, et il déclara en haussant le ton, brisant la glace :

- Régir ces lieux. C'est presque aussi bien formulé que Narcisse l'aurait fait, quoi qu'Il aurait peut être usé le terme de "régner", qui, ma foi, me paraîtrait encore plus exact.


Il avait parlé avec emphase, en faisant de larges gestes et en se déplaçant avec de grands pas autour de l'autel, tragédien grec qui a manqué son heure. Il sembla soudainement reprendre conscience de l'inconnue à ses côtés et, revenant vers elle, déclara :

- Je constate, sans grand étonnement, ne pas vous connaître. Je suppose en revanche, qu'il n'est pas nécessaire que je Me présente ? s'enquit-il, un léger sourire aux lèvres.

Ce faisant, il leva gracieusement l'avant bras, dans un geste pouvant passer inaperçu, ou être interprété comme les prémices d'un baisemain. Le côté malicieux du curieux personnage avait supplanté sa gêne face à la situation, peut être à dessein. Narcisse avait d'étranges facilités à s'occulter ce qui lui était déplaisant... à ses risques et périls.


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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyJeu 8 Mai - 15:44




Alors qu'elle imaginait voir ses excuses saluées d'un petit mouvement de la main, suivi d'une invitation à quitter les lieux sans plus tarder, Marguerite fut intriguée de la tournure que prirent les évènements.


- Régir ces lieux. C'est presque aussi bien formulé que Narcisse l'aurait fait, quoi qu'Il aurait peut être usé le terme de "régner", qui, ma foi, me paraîtrait encore plus exact.


Incapable, cette fois, de retenir sa surprise, Marguerite eut un mouvement de recul. Elle ne sut, de prime abord, à quel élément attribuer ce choc que lui avait inspiré la répartie de l'inconnu. Dans un premier temps, lui fallut faire tournoyer ces propos dans son crâne, afin de s'assurer qu'elle les comprenait bien. Ensuite, elle releva l'excentricité de l'emploi de la troisième personne – fantaisie qui, après tout, seyait à merveille au personnage. Enfin, si la légère correction qu'il apportait à sa propre réplique, une fois isolée, lui semblait amusante, la profonde stupeur dans laquelle la plongeait la révélation du nom de Narcisse lui ôtait toute envie de rire. C'était donc bien là le détail suprême qui venait à l'instant de manquer de lui faire tomber les yeux des orbites.


La grandiloquence avec laquelle la blonde créature s'était exprimée aurait également dû la dérider un peu, mais c'est à peine si Marguerite put la suivre des yeux. Narcisse... En d'autres temps, d'autres lieux, elle aurait souri de cet archaïsme, caprice qu'elle aurait jugé plutôt charmant. Mais ici, en Enfers, le doute n'avait pas sa place. Ainsi l'antique damné existait bel et bien... ? Soudainement, la jeune femme se remémora une foule d'images, la bibliothèque parentale, les vieux ouvrages poussiéreux, et les Métamorphoses, que sa curiosité l'avait poussée à feuilleter. Bien que son souvenir se noyât parmi les bribes d'autres qui constituaient son enfance, la permanence du mythe la privait de tout retranchement dans l'oubli. Avec délectation, elle revit un instant se dessiner la nymphe frappée de désir, le refuge de la forêt, la source miroitante, dansant autour de l'inconcevable beauté du condamné, comme une toile vouée à sa refermer sur lui. Le châtiment ne cessait donc pas d'exister une fois pressé entre les pages du livre...
Marguerite avait devant elle un authentique objet de mythe, un personnage sur lequel on avait écrit et tissé des paraboles multiples, et qui aujourd'hui encore, chez les vivants, devait faire couler l'encre. Et cet être vivait, respirait ! Ses traits ne démentaient pas la légende – sa superbe encore moins.
La jeune femme reprit peu à peu ses esprits tandis que Narcisse, ayant laissé là ses grands gestes, revenait vers elle, et lançait :


- Je constate, sans grand étonnement, ne pas vous connaître. Je suppose en revanche, qu'il n'est pas nécessaire que je Me présente ?


Le souffle qui portait l'allusion à sa personne eut tôt fait de refroidir l'émotion de Marguerite. Rien de tel qu'une belle bouffée d'orgueil pour vous faire retomber sur vos pieds. Avec un sourire, elle décida de rentrer dans le jeu de l'éternel jeune homme. Inutile de le flatter plus que nécessaire, non – la surprise qui s'était peinte sur ses traits l'avait suffisamment trahie – mais au moins lui témoigner l'intérêt que cette curieuse rencontre venait d'éveiller en elle. Après tout, si elle ne se montrait ni défiante ni hostile à son égard, le jeune homme serait plus enclin à discuter, quand bien même son sujet favoris de conversation n'avait rien d'un mystère. Bien campée de son rôle d'humble interlocuteur, Marguerite se sentait prête à soutenir leur échange, malgré l'originalité de la situation. Au geste gracieux de l'individu, elle inclina légèrement la tête en signe de déférence. Son propre mouvement, non dénué d'une certaine élégance, avait l'avantage de la garder du risque d'une tentative de révérence, qui l'aurait à coup sûr ridiculisée. Lorsqu'elle releva les yeux, Marguerite répondit :


- Votre nom ne m'est pas inconnu, je dois bien l'avouer. C'est un honneur de vous rencontrer.


Et la jeune femme était sincère. Si elle jugea plus prudent de ne pas expliciter dans quel trouble cette découverte l'avait mise, de crainte d'inviter le jeune homme à se perdre dans le dédale de son orgueil, elle ne pouvait pas pour autant mentir sur son impression première.
Comme elle s'apprêtait à se taire pour attendre la réponse de l'autre, il lui revint brusquement qu'elle-même ne s'était pas présentée. Même s'il devait oublier son nom dans les quelques minutes qui suivraient, c'était sans doute la moindre des choses qu'il lui incombait de respecter.


- Quant à moi je ne suis que Marguerite, pour vous servir., déclara-t-elle, avant d'incliner la tête de nouveau.



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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyJeu 8 Mai - 18:18



Il était toujours amusant d'observer la réaction des gens dans de pareilles situations. Narcisse faisait souvent l'expérience de dévoiler son principal trait de caractère dès les présentations, afin de voir si la personne qu'il avait devant lui accepterait ce que beaucoup considèrent comme un défaut. Il était plus amusant encore d'adopter une attitude si grandiloquente. Selon que cela provoquait la surprise, le rire, le respect, Narcisse pouvait avoir une certaine idée de comment il fallait ensuite se comporter pour s'attirer tout de même les louanges et l'admiration.

A l'exclamation de l'illustre personnage, la jeune femme eut un mouvement de recul assez vif. Etait-ce dû au fait qu'elle connaissait sa position aux Enfers, ou était-elle (déjà) choquée de l'orgueil dévoilée du personnage ? Elle avait l'air en tous cas impressionnée, à la grande satisfaction du damné qui se demandait toutefois si cela n'était pas feint. Pourquoi, quand il se rapprocha d'elle en lançant l'inhabituelle phrase de présentation, l'inconnue sembla sortir de sa surprise manifeste et afficha un léger sourire. Là encore, comment l'interpréter ? Simple amusement, moquerie, ou satisfaction d'une telle rencontre ?

A vrai dire, Narcisse ne se posait ces questions qu'à moitié et brièvement, trop occupé qu'il était à savourer le moment et à réfléchir à une prochaine tirade, selon ce qui se déroulerait ensuite. Au geste qu'il fit pour clore sa phrase, elle répondit par une sorte de hochement de tête pouvant marquer un certain respect, ou tout au moins le signe qu'elle acceptait le jeu proposé par le gourou.

- Votre nom ne m'est pas inconnu, je dois bien l'avouer. C'est un honneur de vous rencontrer.


* Je l'imagine sans peine... *
songea l'orgueilleux personnage avec amusement.

Un honneur. Bien répondu. Peut être simple convenance, mais cette réponse était néanmoins plus appropriée que le simple "Enchanté" qu'une personnalité trop légère lui aurait adressé. D'autant que la demoiselle ajouta après une courte pause qui lui avait laissé le temps d'esquisser en réponse un sourire plutôt bienveillant :

- Quant à moi je ne suis que Marguerite, pour vous servir.

Cela en revanche pouvait être pris comme de l'ironie, un sarcasme quelconque. Mais elle le disait apparemment sérieusement, et sans malice. Une fois de plus, la présentation plut à Narcisse. Il ne releva pas le restrictif "que", qu'il trouvait normal d'entendre, mais toujours agréable tout de même. C'était le genre de phrase qu'il avait tendance à prendre au pied de la lettre, en particulier l'ajout final.

- Je vois, répliqua-t-il plus bas en lui jetant un bref regard, avant de lever le visage, se tournant vers le reste de la pièce. Je devine, à vous voir, que vous n'êtes pas d'ici...

Il se retourna vers elle, plongeant une fois de plus son regard dans les yeux sombres de l'inconnue... de Marguerite.

- D'où venez vous donc ? s'enquit-il finalement.

Il était réellement curieux de le savoir ; après tout, s'il lui était possible d'étendre son influence à d'autres quartiers, pourquoi pas ? Des adeptes différents lui seraient tout aussi utiles. Sans compter qu'un paresseux serait peut être plus enclin à accepter une autorité autre que celle qui émanait de lui-même, et qu'il aurait peut être moins de mal à séduire un adepte de la luxure. Il était bien agréable de disposer d'autant d'adeptes, mais ceux qu'il avait avaient parfois le don de l'irriter par leur ponctuel manque de docilité. Peut être pourrait-il séduire des Gourmands, des Avares ou des Envieux en leur promettant monts et merveilles de ce qu'ils aimaient ? Quant à la colère, il s'y frotterait moins volontiers, craignant que le caractère de ceux ci soient trop bourru pour contempler et adorer le charme de sa personne. Mais quel pêché cette jeune femme avait-elle donc commis ?

Une paresseuse ne viendrait pas ici à cette heure. A sa tenue, elle ne semblait pas porter à la luxure ni à l'envie. Une coléreuse l'aurait peut être remis à sa place plus rapidement... Avare ou Gourmande ? Peut être, mais toujours difficile à imaginer. Mais après tout, il ne faut pas (toujours) se fier aux apparences.

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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyJeu 8 Mai - 20:37




- Je vois.


Alors qu'elle relevait la tête, Marguerite constata que son interlocuteur venait lui-même de détourner le regard, comme s'il se plongeait dans la contemplation des lieux. A son air pensif, la jeune femme se demanda s'il pouvait avoir considéré ses derniers mots comme une offre réelle, et non une simple expression. Devait-elle s'en mordre les dents ? Songeant, comme à son habitude, qu'il était inutile de s'emballer si vite, elle préféra attendre la suite.


- Je devine, à vous voir, que vous n'êtes pas d'ici... , continua le noble personnage.


Marguerite arqua un sourcil, en une moue qui exprimait une passable indifférence. Il avait toujours été aisé, à son apparence, de la « classer » - ou plutôt de la classer. Cette curieuse propension à être automatiquement perdue entre les cases semblait l'avoir suivie jusqu'en Enfer. Glissant les mains dans les poches larges de son pull, lesquelles s'enfonçaient si bas que ses bras semblèrent se laisser engloutir à l'intérieur, Marguerite leva les yeux vers le maître des lieux. Leurs regards se rencontrèrent et elle ne broncha pas. Tant qu'il n'en demandait pas plus, elle ne voyait pas l'utilité d'éclairer sa lanterne. D'autant qu'au vu de la situation qui était la sienne ici-bas, il y avait fort à parier que l'apprendre à un tel personnage de ne pouvait que la mettre en mauvaise posture.
Malgré tout, la question redoutée tomba :


- D'où venez vous donc ?


Dans la voix de Narcisse semblait poindre ce qui ressemblait à de la curiosité. Finalement, les choses n'étaient peut être pas aussi délicates que Marguerite les avait envisagées. Tant qu'il ignorait la réponse à sa question, elle-même gardait un certain avantage sur lui. Rien de plus qu'une brume de mystère, qui aurait tôt fait de se dissiper sans doute, mais la jeune femme décida de la laisser planer encore un peu. Simple mesure de précaution. Ne serait-ce que pour se préserver un temps de réflexion et pour sauvegarder cette exquise sensation que lui procurait le fait de laisser patienter l'illustre créature, Marguerite ne se pressa pas.


- Pas d'ici, en tout cas, commença-t-elle, avec un éclair de malice dans les yeux.


L'ombre d'un sourire vint même étirer la commissure droite de ses lèvres, mais la jeune femme tourna la tête un instant. Histoire de retrouver un peu de contenance, elle sortit les mains de ses poches, tendit brièvement ses bras en arrière pour les étirer et fit quelques pas dans la salle, admirant le détail des courbes du plafond. Ravivées par ce fugace regain d'activé, ses jambes lui semblèrent soudain plus fermes, son corps plus détendu. Bouger un peu lui avait permis de clarifier ses pensées. Lorsqu'elle s'estima prête, Marguerite lança, non sans sourire à nouveau :

- Vous ne devinez pas ?

Elle ne savait pas exactement encore si elle lui laisserait le temps de répondre, même si Narcisse devait, à cette heure, avoir fait le tour de la question et se douter du fin mot de l'histoire.
Marguerite lui tourna le dos un instant. Mieux valait qu'elle le dise elle-même. Son quartier de résidence en Enfer devait certainement jouir d'une réputation peu flatteuse – cela dit, y avait-il un qui pouvait prétendre le contraire ? A bien juger l'orgueil du personnage, mieux valait sans doute éviter de lui donner en plus la satisfaction de pouvoir énoncer lui-même qu'elle position elle occupait ici bas.
La jeune femme se retourna donc et lâcha simplement :

- Le chemin est long jusque chez vous. Il ne m'a été donné de mourir sous le nom d'un des sept péchés capitaux.




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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyVen 9 Mai - 11:43


A l'affirmation de Narcisse, la jeune femme se broncha pas. Elle ne semblait pas disposée à apporter elle même les précisions demandées implicitement. Elle se contenta de plonger ses mains dans les poches de son immense pull, un léger sourire persistant sur son visage.

* Tout de même, curieuse tenue...* S'était encore dit Narcisse en la toisant une fois de plus. * Alors que, mieux vêtue, on aurait pu en faire quelque chose de présentable...* Décidément, étrange.

Quand la question tomba, la jeune femme sembla lancer un regard autour d'elle, comme pour prendre le temps de formuler une réponse appropriée... qu'elle ne semblait absolument pas décidée à donner !

- Pas d'ici, en tout cas...

L'inconnue se révélait donc peu à peu être presque aussi facétieuse que Lui-même. Plissant les paupières, Narcisse continua à la dévisager, la sondant du regard. Ne la jugeait-elle pas digne de recevoir une réponse claire ?

- Vous ne devinez pas ?

* Non... Je ne me risquerais pas à formuler mes hypothèses... * songea l'orgueilleux, non pas par crainte de se montrer maladroit ou de la vexer - c'était le cadet de ses soucis -, mais pour ne pas risquer de montrer une trop faible capacité d'analyse d'autrui. Ainsi, il ne répondit pas, feignant la fausse hésitation de celui qui sait. Décidément, l'inconnue aimait jouer et ne pas de dévoiler trop rapidement ; tout comme lui.

C'était elle, à présent, qui s'était mise à se déplacer lentement en regardant aux alentours. En de tels lieux, comment ne pas être happé par la finesse et l'aspect imposant du décor ? Finalement, Marguerite se retourna comme il l'avait fait quelques minutes plus tard et lâcha :

- Le chemin est long jusque chez vous. Il ne m'a été donné de mourir sous le nom d'un des sept péchés capitaux.


Le sourire de Narcisse s'agrandit et il hocha la tête comme s'il s'en était douté. En réalité, s'il avait depuis longtemps établi dans son esprit une sorte de classification du pêché, du plus noble au plus bas, plaçant évidemment l'orgueil au sommet de tous, il avait toujours négligé d'y inscrire... les Autres. Ceux ci avaient rarement le cran de venir jusqu'en Haut, c'est-à-dire jusqu'au Sixième Quartier. Il n'en voyait que quand il descendait, incognito, dans les autres quartiers ; il voulait sauvegarder la réputation qu'il avait pris l'habitude de se construire, d'un homme qui ne sort pas de son domaine. Les Autres erraient souvent, la tête basse, dans les plus bas quartier de l'Enfer. Ainsi, il en faisait peu de cas, ne cherchant même pas leur donner une place dans son classement. Pour lui, ces Autres n'étaient ni plus ni moins que de simples fantômes.

- C'était donc ça, commença-t-il.

Pourtant, il allait apparemment être forcé de revoir son jugement sur ces Autres, car la jeune femme qu'il avait devant lui ne ressemblait en rien à l'idée qu'il s'en était fait. Malgré ces millénaires déjà passés ici bas, il lui restait apparemment des choses à découvrir en Enfer...

- Et pourtant, reprit il plus bas, comme s'il se parlait à lui-même, tu n'es sans doute pas dénuée d'un certain orgueil, pour t'être sentie digne de monter jusque dans Ma demeure...

Il avait en effet glissé vers le tutoiement. Son regard avait une fois de plus quitté celui de son interlocutrice, mais y revint aussitôt :

- On ne peut t'en blâmer.

En effet, pour l'Orgueilleux des Orgueilleux, l'orgueil ne saurait être un véritable défaut. En un sens, c'était peut être ce qui la sauvait... par ailleurs, il n'avait pu s'empêcher de remarquer le langage choisi d'une interlocutrice qu'il aurait, sans tout cela, rapidement reléguée au même rang que ces "Fantômes" qu'il croisait dans les bas quartiers.

- D'autant que ces lieux doivent t'apparaître dans toute leur magnificence, à toi qui connaît sans doute autre chose.

Il avait déclaré celui avec une fausse compassion un peu narquoise. Le jeu continuait, et il désirait voir jusqu'où cela pouvait aller.

- Pour Ma part, ajouta-t-il avec cérémonie, J'ai beau M'y être habitué, Je ne puis Me lasser de pareille splendeur...

Il avait doublé la parole du geste, englobant d'un mouvement du bras l'intégralité du lieu, s'arrêtant facétieusement sur le grand miroir, où il eut une fois de plus de loisir de contempler Son Reflet, auquel s'ajoutait le plaisir d'admirer l'effet du double sens de son exclamation sur la demoiselle...

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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyVen 9 Mai - 22:53




Guettant la réponse de l'antique orgueilleux, Marguerite n'avait pas bougé depuis un instant. Bien campée dans ses chaussures, elle se sentait prête à affronter presque tout ce qui pouvait potentiellement traverser les lèvres de son interlocuteur. Étant donné la révélation qu'elle venait de lui faire, mieux valait, selon elle, envisager toutes les possibilités. Aussi, lorsqu'il hocha la tête, comme pour signaler qu'elle venait de lui confirmer la véracité de son raisonnement, Marguerite se contenta de sourire. Son masque était bel et bien tombé cette fois, mais il lui fallait poursuivre le jeu.


- C'était donc ça...


Malgré l'air assuré de son interlocuteur – son propre masque, sans doute – Marguerite ne put s'empêcher de percevoir une très légère note de doute. L'impression n'avait duré que le temps d'un éclair, et pourtant son bon sens ne tenta rien pour la démentir. Se pouvait-il que la zone « Garbage » des Enfers ait échappé à l'attention de l'incorrigible faraud ? Cette solution n'avait rien d'incongru : aveuglé par lui-même, et compte tenu de la relégation du quartier au rang d'infâme rendez-vous des cauchemars, il pouvait sans problème avoir survolé la question.
D'une manière générale, les autres damnés semblaient en savoir peu sur cet endroit particulier. Comme des apatrides, jusqu'au bout de leur mort, les ordures poursuivaient leur errance avec de grands plongeons dans le brouillard, échappant au stigmate de leur crime. Peut-être était-ce une chance, ou bien une malédiction de plus. Marguerite ignorait encore comment elle-même le ressentait. Il lui semblait en tout cas profondément ironique de se retrouver affublée de ce voile avec lequel elle avait déjà vécu sa vie.
Pour autant, ainsi considérées, les choses semblaient de nouveau offrir l'avantage à la jeune femme. Quel que fût le poids qu'elle avait cru voir peser dans la révélation de sa filiation au rebut des damnés, il s'avérait que cette caractéristique lui garantissait une certaine aura de mystère qu'elle ne pouvait qu'apprécier. Quoi qu'il s'imagine à présent, Narcisse n'avait pas à en apprendre plus à son sujet, sur son histoire toute personnelle.. Marguerite le laisserait probablement voguer sur l'idée qu'il devait se faire des Garbage. Un soudain regain d'énergie lui sembla vriller ses veines : elle était de retour, parfaitement éveillée, égale à elle-même. En cet instant nocturne, au milieu de la Cathédrale et face à son illustre maître, la jeune femme reprit possession de ses moyens ; plus que jamais, elle se sentait Ellipse, aussi fuyante que la brume. Mais l'heure n'était pas à la fuite. La conversation prenait une tournure tout à fait intéressante, et le caractère insolite de cette rencontre la stimulait. Il fallait continuer de jouer le jeu.


- Et pourtant, tu n'es sans doute pas dénuée d'un certain orgueil, pour t'être sentie digne de monter jusque dans Ma demeure...


Son interlocuteur semblait presque plongé dans une profonde conversation avec lui même. Marguerite prit néanmoins sa remarque en considération, et fut contrainte de réprimer une violente envie de rire. Nulle moquerie dans cet élan non – quoique la prétention de tels propos, chez n'importe qui d'autre que Narcisse, n'aurait pas manqué de suscité son hilarité. De la part d'un personnage tel que lui, au contraire, elle n'en attendait pas moins. La théâtralité de son orgueil avait quelque chose de délicieux. Il lui semblait regarder se jouer une véritable pièce humaine, où le blond éphèbe se suffisait évidemment à lui-même – un étonnant spectacle qui ne manquait pas de charme. Si son rire avait fusé, il aurait plutôt fallu l'attribuer à de la joie, une sorte d'expression d'enchantement qu'une fillette aurait pu produire devant une véritable représentation.
D'humeur donc profondément joviale, Marguerite décida de ne pas démentir le jeune homme, bien qu'elle jugeât difficile de considérer l'orgueil comme une face de sa propre personnalité. S'il voyait en elle un éventuel écho de son être, le jeu ne pouvait qu'en être plus amusant.
Lorsqu'il ajouta que ce trait de caractère n'était pas blâmable, l'Ellispe dissimula son sourire sous une nouvelle esquisse de révérence : cette fois-ci, en plus de baisser la tête, elle porta la main à son coeur, en un silencieux remerciement.


- D'autant que ces lieux doivent t'apparaître dans toute leur magnificence, à toi qui connaît sans doute autre chose.


Cette fois-ci, Marguerite partir d'un franc éclat de rire. L'autre n'avait pas tort, le contraste entre leurs lieux de résidence avait de quoi faire pâlir. Son ton narquois ne pouvait en rien la vexer – elle-même avait de quoi nourrir d'abondantes médisances sur son propre quartier.


- Je dois admettre que cette visite est particulièrement... rafraîchissante, déclara-t-elle, sans se départir de son sourire.


- Pour Ma part, j'ai beau M'y être habitué, je ne puis Me lasser de pareille splendeur...


La jeune femme eut alors le loisir d'apprécier à nouveau la gestuelle surannée de son interlocuteur, qui se mariait brillamment avec les lieux. Devinant que son regard, porté au loin, se dirigeait à présent vers leur reflet dans le miroir, Marguerite y jeta à son tour un coup d'œil. L'ensemble qu'ils formaient à présent dans le cadre avait un effet assez stupéfiant. Craignant de troubler davantage la contemplation à laquelle s'adonnait Narcisse, elle lui fit de nouveau face pour lui répondre :


- Je n'en doute pas.


Elle avait constaté qu'il la tutoyait désormais, réciproque que son audace à elle n'allait pas permettre. Mieux valait ne pas tenter de le froisser. Elle-même n'y accordait que peu d'importance, tout comme l'essentiel rabaissement de sa personne qui était mis en œuvre. Marguerite se fichait éperdument du « rang » qu'on pouvait lui attribuer – elle n'y croyait pas. En revanche, elle croyait en la magie du jeu, et voulait voir jusqu'où elle pouvait s'y engager.

- Ces lieux semblaient prédestinés à obéir à votre main.


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Narcisse E. Céphise Narcisse E. Céphise
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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptySam 10 Mai - 14:48


A la première déclaration de Narcisse, qu'il avait faite plus bas, comme pour lui même, l'inconnue changea imperceptiblement d'expression, son sourire se crispant légèrement dans un rictus dont il ne put déterminer l'origine - il n'essaya pas, en réalité, trop plongé qu'il était dans son propre discours. Lorsqu'il ajouta son avis sur l'orgueil comme quasi qualité, Marguerite - s'il s'agissait bien là de son nom, car Narcisse se pouvait s'empêcher de le trouver un peu incompatible avec la personne qu'il dévisageait - se fendit d'une discrète révérence en portant la main à son coeur dans une attitude semblant témoigner d'un profond respect. Satisfait de cet état des choses, Narcisse avait continué sa tirade, et fut presque interrompu par le soudain éclat de rire de la jeune fille.

Il fit une courte pause, la regarda, un éclair de suspicion traversant très brièvement son regard, qu'il s'efforça de cacher la seconde d'après. Qu'est ce que cela était-il censé signifier ? S'agissait-il bien de sarcasme, riait-elle de la démesure de son orgueil et de la pointe de mépris qu'il avait ajouté à ces dernières paroles, comprenant que cette touche de potentiel mépris n'était pas forcément dirigé contre elle seule, mais qu'il ne s'agissait là que de la nature de l'orgueilleux des orgueilleux qui avait la tendance de dénigrer tout ce qui n'était pas lui ?

Ou riait-elle simplement du contraste certain existant entre leurs deux quartiers ? Quoi qu'il en soit, elle répliqua :

- Je dois admettre que cette visite est particulièrement... rafraîchissante.


Narcisse choisit donc d'éluder les questions qui venaient de traverser son Esprit, poursuivant sa tirade. Quand il dévoila son sentiment pour ce lieu - en y glissant, rappelons le, une référence à sa propre personne -, elle répondit une fois de plus respectueusement :

- Je n'en doute pas. Ces lieux semblaient prédestinés à obéir à votre main.

Prédestinés. A condition de croire au destin. Narcisse n'aurait eu l'idée d'adopter ce principe selon lequel l'ordre des choses est préétabli, et chaque événement suit une causalité toute réglée - par qui ? Une sorte d'être supérieur ? Un Dieu...? -. Profondément dédaigneux envers toutes ces croyances populaires, il était de ces gens pour qui la croyance en Dieu n'est qu'un moyen de se cacher la froideur de la Nature à notre égard. Le Réel ne nous dit rien : il n'y a aucune valeur préétablie. Morale, justice, sont des idéaux que les hommes ont eu l'idée de s'imposer afin de rendre possible la vie en communauté. C'est tout.

Il n'y a pas de phénomènes moraux. Il n'y a qu'une interprétation morale des phénomènes.
En celui, Narcisse rejoignait une philosophe qu'il était presque tenté d'admirer : Friedrich Nietzsche, dont il avait ouï dire bien après son arrivée aux Enfers.

Narcisse se considérait comme l'un de ces Êtres supérieurs qui n'ont besoin d'aucune croyance pour vivre. Il était un Surhomme qui acceptait ce néant de volonté de la nature. Narcisse n'avait pas besoin de dieu. Il était son propre Dieu et son propre Destin.

Il avait eu une brève envie d'entraîner la discussion sur cette pente philosophique. Pourquoi pas ? Mais en douceur.

- Une cathédrale, si belle soit-elle, "prédestinée" à obéir à Ma main ? Il eut un demi sourire. Qui l'eut crû ?

Ce faisant, il retourna du côté des marches de l'autel et monta lentement l'escalier en parlant, laissant sa main traîner sur la rampe jusqu'à ce qu'il soit arrivé en haut de l'autel surélevé, d'où il regarda Marguerite. Qu'il était agréable de se trouver à nouveau physiquement en position de supériorité...

Avisant le recueil de poèmes qu'il avait laissé posé sur l'autel, il le reprit, le regarda d'un air songeur.

- Aimes-tu la poésie... Marguerite ?
Demanda-t-il avec un effort pour se rappeler du nom qu'il avait failli oublier.

Parlant de poésie, il pouvait bien se permettre de rendre à ce "fantôme" un semblant d'identité.

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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyDim 11 Mai - 14:12




- Une cathédrale, si belle soit-elle, "prédestinée" à obéir à Ma main ? Qui l'eut crû ?

Marguerite haussa les épaules. Bien sûr, à moins que la situation l'y oblige, elle n'observait jamais trop scrupuleusement le sens des mots qu'elle employait. Sa remarque avait plus été de l'ordre du clin d'œil, sinon de la plaisanterie. Elle ne chercha pas pour autant à se justifier, craignant d'entraîner la conversation trop loin. L'idée d'une confrontation lexicale avec Narcisse à cette heure n'avait rien de trop engageant.
En tout cas, la coïncidence de la personnalité d'un tel être avec le lieu qu'il dirigeait lui paraissait parfaite. Peut être était-ce simplement du au début d'éternité qu'il y avait déjà passé, mais cela n'enlevait rien au caractère impeccable et absolu de leur symbiose.


La jeune femme suivit des yeux le mouvement gracieux de son interlocuteur, qui regagnait lentement les hauteurs de son piédestal. Elle admira l'aisance avec laquelle il se mouvait dans l'espace, et lorsqu'il eut pris place, elle-même jeta son dévolu sur le premier rang des bancs qui entouraient l'estrade. De là, elle se donnait l'impression de concrétiser l'illusion du spectacle. Assise face à la scène où s'illustrait Narcisse, elle pouvait à loisir détailler son attitude et ses changements d'expression, sa prestance de comédien, en somme. Cette fois-ci, bien qu'elle ait à lever la tête pour communiquer avec l'autre, l'effet escompté par ce-dernier ne la mit pas mal à l'aise. Tout semblait en ordre, là où il devait être.
Alors que le maître des lieux saisissait son recueil abandonné sur l'autel, Marguerite se redressa un peu dans l'attente d'une parole. Son voisin demeura pensif un moment avant de déclarer :


- Aimes-tu la poésie... Marguerite ?


Il avait marqué un temps d'arrêt avant de retrouver son prénom, ce qui n'offusqua en rien la jeune femme. Au contraire, elle était peu habituée à ce qu'on la nomme directement.
Avec un sourire, elle se laissa retomber indolemment sur le dossier du banc. De là où elle était, elle percevait sans mal la voix de Narcisse, qui se portait habilement à travers la pièce, mais il lui faudrait forcer la sienne pour lui répondre, aussi prit-elle le temps de se concerter.
Elle se sentait presque amenée à outrepasser les limites que lui imposait tacitement son laconisme : la voie sur laquelle s'engageait leur échange avait de quoi l'inspirer.


- Pour sûr, finit-elle par répondre.Je suis d'ailleurs encore bien embarrassée de vous avoir coupé dans le moment privilégié qui vous aviez avec elle, tout à l'heure.

Bercée par les leçons parentales de littérature jusqu'à son adolescence, Marguerite avait tendance à concevoir l'expérience poétique comme un cocon très personnel ; à part la récitation, si elle était prise en main par un adepte avisé, et quelques conversations entre connaisseurs, elle cherchait rarement à partager cet univers particulier. Ces quelques dizaines de premières années en Enfer lui avaient permis de renouer avec un art qu'elle plaçait volontiers au-dessus des autres. Le temps dont elle jouissait ici-bas lui promettait, et c'était une joie de l'imaginer, des découvertes infinies.
Alors qu'elle y songeait, Marguerite déclara, pensive :


- Au vu des deux millénaires que vous avez passé ici, votre culture en la matière doit être aujourd'hui particulièrement mûre... Je vous envie.


Son regard tomba alors sur le recueil que Narcisse tenait toujours entre ses mains, et l'Ellipse se remémora les quelques vers qu'elle avait pu entendre en entrant.


- Je crois que vous lisiez Baudelaire tout à l'heure, dit-elle. A quels autres poètes va votre préférence ?



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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyDim 11 Mai - 17:32


Arrivé en haut de l'autel, Narcisse dominait une fois de plus la cathédrale, comme il le faisait chaque fois qu'il s'adressait à ses adeptes en donnant ces "messes" dont il avait la spécialité. Reprenant l'habitude terrienne, ces curieux offices se déroulaient une fois par semaine, la matin. Au tout début, le dirigeant récemment nommé de la cathédrale ne s'était pas vraiment senti à l'aise en haut de ce piédestal qu'il aurait pourtant en toute autre circonstance apprécié. Il s'était senti réduit au poste de simple curé de campagne remplissant un devoir d'habitude envers son village. Au début, les damnés se rendant aux offices étaient peu nombreux. Mais l'orgueilleux avait rapidement appris à tirer profit de ces messes infernales et à les apprécier, surtout quand il vit son nombre de fidèles s'accroître en même temps que la masse des acclamations reçues à son entrée. Les années étaient passées, et ces offices journaliers étaient entrés dans un cycle d'habitude, que Narcisse s'employait parfois à briser en introduisant quelque nouveauté croustillante aux rites qu'il avait peu à peu institués. Cette habitude avait des côtés positifs : c'est grâce à elle que Narcisse était passé maître dans l'art de la manipulation collective et dans l'art du discours - bien qu'il ait parfois tendance à plagier outrageusement les poètes qu'il admirait en secret.

Quand il lui demanda, entraîné par le fil de ses pensées, si elle partageait au moins son goût pour les mots, il remarqua qu'elle s'était assise sur le premier banc, se plaçant ainsi dans le posture des fidèles qui venaient l'acclamer lors de l'office hebdomadaire. Cette pensée le fit encore sourire. * Il faut reconnaître que cette fille ne manque décidément pas de bon sens... * songea le personnage, tandis que son interlocutrice répondait :

- Pour sûr. Je suis d'ailleurs encore bien embarrassée de vous avoir coupé dans le moment privilégié qui vous aviez avec elle, tout à l'heure.


De prime abord, il ne sut comment répondre, presque tenté de regretter d'avoir amené la conversation sur ce terrain-là. Mais il fallait reconnaître que c'était en partie volontaire. En toile de fond de sa pensée, s'étendait une légère envie de savoir exactement ce qu'elle avait vu, et ce qu'elle en pensait. Il hésita, le regard fixé sur le recueil, d'un air songeur. Elle enchaîna heureusement :

- Au vu des deux millénaires que vous avez passé ici, votre culture en la matière doit être aujourd'hui particulièrement mûre... Je vous envie.


* Attitude raisonnable *, commenta-t-il en pensée. Il laissa une pause, puis daigna répondre :

- Sans doute... l'Enfer n'a pas que des mauvais côtés. Et à côté de la vermine qui l'arpente chaque jour, on y trouve parfois quelques âmes plus fines, dont Je suis ravi de pouvoir m'approprier les trouvailles fortuites.


L'amour de la poésie et de l'art en général de l'orgueilleux personnage était, somme toute, paradoxal. Il aimait à reconnaître aux poètes certains traits d'esprits, rencontres fortuites entre un instant et une vague pensée, mais ne croyait au génie qu'en de rares occasions...

- Je crois que vous lisiez Baudelaire tout à l'heure, ajouta la jeune femme. A quels autres poètes va votre préférence ?

Narcisse fit une légère moue d'hésitation. S'il lui arrivait de retenir des pans entiers de longs poèmes, il avait quelque tendance à oublier les noms de leurs auteurs, où à ne les retenir que vaguement, accordant peu d'importance à leur identité qu'il estimait instinctivement n'être que pur vanité par rapport à l'essence pure du texte détaché de tout contexte. Quelques noms s'étaient évidemment gravés dans sa mémoire, à force de passer sous son regard. Gagnant du temps, il fit mine de glisser une légère flatterie à son interlocutrice avant de continuer :

- Bien reconnu. Quand aux autres... il hésita. Je lisais tout à l'heure Gaspard de la Nuit... dit-il songeur, ne mentionnant pas le nom du poète qui ne lui revenait pas. J'apprécie Lautréamont et ses "Chants de Maldoror"... quel intéressant personnage... * on M'y reconnaîtrait presque... * continua-t-il pour lui-même, tout en voyant apparaître quelques noms qu'il pourrait ensuite citer.

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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyLun 12 Mai - 18:47




Avant d'entendre la réponse de son voisin, Marguerite se donna à elle-même l'écho de ce qu'elle venait de lui demander. Si ces dernières années lui avaient permis d'approfondir son répertoire de connaissances, elles n'avaient pas pour autant fait d'elle une parfaite érudite, aussi lui fallait-il passer en revue ses références, de façon à pouvoir suivre la conversation.
Quand il reprit la parole, Narcisse confirma son intuition et énonça le titre d'un autre recueil. Cette évocation entra en résonance, dans l'esprit de la jeune femme, avec un troupeau de lettres à l'agencement surprenant. Son interlocuteur ne signala pas le nom du poète, ce qui la laissa libre d'imaginer, dans la confusion de son souvenir, un patronyme particulièrement peu courant. Étant donné ses origines et ses tribulations entre la Russie et l'Allemagne, Marguerite n'avait connu la littérature française qu'en dernier lieu. Elle sourit néanmoins à l'univers auquel renvoyait les allusions du maître des lieux. Au temps de ses après-midi berlinoises, le dix-neuvième siècle littéraire avait longuement occupé le centre des conversations. Si Narcisse ouvrait ce chemin là, elle n'avait pas trop à craindre de s'y aventurer.


- J'apprécie Lautréamont et ses "Chants de Maldoror"... quel intéressant personnage..., continuait Narcisse, presque à part.


Il était difficile de discerner, dans leur échange, les moments où l'intemporel éphèbe s'adressait à lui-même et ceux où il daignait tourner sa parole vers elle. Marguerite trouvait cela à la fort troublant et tout à fait divertissant. Il lui semblait que Narcisse voyageait constamment du plus profond de lui-même jusqu'au monde environnant, et cela sans que ce va-et-vient paraisse lui coûter un seul effort. L'Ellispe dut reconnaître qu'elle admirait cette curieuse prouesse. Mine de rien, pour un Gourou des orgueilleux, son interlocuteur s'avérait agréablement ouvert sur ce qui l'entourait.
Les noms qu'il venait d'énoncer ne firent qu'accroître le sourire de Marguerite. Elle se rappelait combien elle avait peiné à déchiffrer son édition en langue originale des Chants de Maldoror, alors qu'elle commençait tout juste à apprendre le français. Mais à ce dur labeur se mêlait, elle s'en souvenait, le charme de l'incompréhension première, lorsque les mots inconnus s'entrechoquent pour ne laisser tinter à l'oreille que leur essence mélodieuse. Plus tard, lectrice aguerrie, elle l'avait dévoré à nouveau, et le sens avait brutalement fourragé dans ses pensées pour s'y faire une place. Elle s'était illuminée devant la philosophie torturée du poète, et l'avait depuis lors gardé dans son coeur. A cette époque, de tels écrits ne pouvait qu'entrer en résonance avec l'atmosphère délicieusement morbide dans laquelle elle vivait.


- Oui, souffla-t-elle en souriant. Je ne peux que vivement approuver vos dires.


Elle laissa s'écouler un instant de silence, pendant lequel elle passa en revue les noms qu'elle pouvait à son tour évoquer. Quelques poètes allemands lui vinrent en tête, mais résolument, depuis qu'elle avait découvert la littérature française, et puisque Narcisse avait commencé par cette branche, elle décida d'en suggérer d'autres feuilles.


- Ce charmant Lautréamont a été une abondante source d'inspiration pour les surréalistes, et ceux que leur ont succédé. Que pensez-vous d'eux ?


Bien qu'elle ne les ait découverts qu'en arrivant ici-bas, Marguerite avait connu une période assez intense de folle trépidation devant ces chers illuminés du vingtième. Pour autant, la tranchante différence de forme qui les opposait aux poètes du siècle précédent l'avait d'abord freinée. Elle se demandait si leur vers épuré, et pourtant chargé d'étoiles, avait su toucher l'intérêt de Narcisse comme il l'avait pour elle, ou si le jeune homme lui préférait la grandeur des ancêtres. La question était difficile à trancher pour elle-même. Le joyau de la strophe polie jusqu'à sa merveille dernière avait de quoi luire pour des éternités encore, mais qu'adviendrait-il des frêles prétentions surréalistes, lorsque vent et poussière auraient soufflé sur elles ?




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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyMar 13 Mai - 17:21


- Oui... Je ne peux que vivement approuver vos dires, répondit la jeune femme quand il mentionna le nom de Lautréamont.

Le court silence qui s'ensuivit rendit Narcisse songeur, lui laissant le loisir de remarquer une fois de plus d'incongruité de la situation. Se tenir au beau milieu de la nuit sur l'autel de la cathédrale, cela n'avait en soi rien d'extraordinaire pour qui le connaissait. Mais ce dialogue poétique avec une inconnue, qui, qui plus est, était sortie d'un des plus bas quartiers de la ville pour monter jusqu'à ce monument, rendait cet instant bien plus insolite. Le moment où Marguerite avait trouvé le prince des orgueilleux avait quelque chose d'intime. Le narcissisme de Narcisse n'avait rien de méconnu, et ce dernier savait en jouer ; cependant, l'apparent jeune homme tenait à garder une part de secret quant à sa réelle personnalité, parallèlement de celle qu'il affichait en public.

Mais après tout, la cathédrale restait un lieu public, et en y déclamant des vers, il s'exposait manifestement au risque d'être surpris. Jouait-il avec le hasard comme il aimait à le faire, ou l'appel du lieu avait-il était trop pressant ?

Narcisse, sans que son amour pour lui-même ne le quittât jamais, appréciait le fait de pouvoir sortir de son "personnage public", intériorisant un peu son orgueil et sa quête de pouvoir sur autrui, même si c'était pour mieux les laisser apparaître plus tard, à son profit. Pour le moment, il aimait jouer à paraître plus "normal et accessible" qu'il ne l'était... Tout en laissant filtrer quelques allusions à tendance nettement narcissiques. Narcisse restait Narcisse.

- Ce charmant Lautréamont a été une abondante source d'inspiration pour les surréalistes, et ceux que leur ont succédé. Que pensez-vous d'eux ? reprit la jeune femme, sortant le personnage de sa rêverie.

Les surréalistes. Qu'en dire ? C'était un domaine nettement moins exploré par Narcisse pour qui la poésie restait un agrément, bien que supérieur à bien d'autres. D'autant que cela était, à son échelle, bien plus récent...

- Eh bien, commença-t-il, ma pensée reste mitigée à leur sujet, où plutôt devrais-je dire, ma sensibilité. Manifestement, leur art semble plutôt s'adresser à elle, et à une forme d'instinct, que prétendre à la vanité d'une interprétation trop cérébrale.[/b][/color]

Il marqua un temps, ayant l'impression d'entraîner sa rhétorique à une démonstration sur un sujet qu'il maîtrisait peu, bien qu'il soit sûr de ces premières paroles.

- ...Et cela n'est pas pour me déplaire. Le surréalisme me semble parfois retourner au fondement des choses. Mais parallèlement à cette volonté, fort légitime, d'en appeler à l'intuition, ces poètes semblent avoir beaucoup théorisé leur mouvement... Curieux paradoxe.

Il haussa les épaules.

- Leur volonté d'innovation est assez séduisante, et ces gens ont assez bien réussi à bouleverser les canons artistiques précédemment admis par leur société, bien que les évolutions de celle-ci aient sans aucun doute largement préparé le terrain pour ce changement qui était, à grande échelle, somme toute assez prévisible.

La demoiselle entendait peut être le terme surréalisme dans son seul cadre poétique. Pour Narcisse, le nom de ce mouvement ne pouvait qu'évoquer également un courant pictural qui ne lui était pas toujours déplaisant, et qu'il regardait avec un certain amusement.

- Lautréamont en témoigne, termina-t-il.

Il lui était plutôt agréable de se voir demander son avis sur un sujet précis, surtout quand cela touchait à un thème qui l'intéressait, de près ou de loin. Il avait ainsi l'occasion de voir dressé en dehors de son esprit un étalage de ses quelques connaissances sur le sujet, et si celles ci lui faisaient défaut, un témoignage - qui ne serait pas le premier, ni le dernier - de l'habileté rhétorique sur laquelle il avait tant travaillé, mais qu'il aimait à croire naturelles chez lui... Narcisse avait en fait autant de plaisir à "s'écouter parler", qu'à admirer son reflet dans le grand miroir de la cathédrale.

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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyMer 14 Mai - 13:22




- Eh bien, ma pensée reste mitigée à leur sujet, où plutôt devrais-je dire, ma sensibilité. Manifestement, leur art semble plutôt s'adresser à elle, et à une forme d'instinct, que prétendre à la vanité d'une interprétation trop cérébrale.


Marguerite, maintenant qu'elle avait posée sa question, reposait indolemment sur le dossier du banc. Elle acquiesça d'un lent hochement de tête aux paroles de son interlocuteur, sans souhaiter ajouter un mot de plus.
Narcisse continuait :


- ...Et cela n'est pas pour me déplaire. Le surréalisme me semble parfois retourner au fondement des choses. Mais parallèlement à cette volonté, fort légitime, d'en appeler à l'intuition, ces poètes semblent avoir beaucoup théorisé leur mouvement... Curieux paradoxe.


- Curieux, en effet, murmura Marguerite, pour montrer qu'elle suivait toujours ce qui se disait.


La jeune femme avait cette habitude, lorsqu'il lui arrivait de lancer un sujet de conversation, de s'en retirer dans le même temps pour mieux en observer le cours. Cette participation passive lui permettait de se concentrer principalement sur ce que disaient les autres, sans avoir à se perdre dans la formulation de ses propres réponses. La barrière de son mutisme se brisait toutefois par moments, que ce soit pour lui laisser témoigner son attention, ou pour prendre part réelle à l'échange. Mais pour l'heure, la fatigue commençait à gagner son esprit et puis, après tout, Marguerite était au théâtre. Mieux valait abandonner au comédien la liberté de s'exprimer comme bon lui semblait. Ce retrait volontaire se comprenait d'autant plus qu'elle ne trouvait pas d'objection à donner aux paroles de Narcisse : si elle avait dû lever la voix, ce n'aurait été que pour appuyer ses dires.


- Leur volonté d'innovation est assez séduisante, et ces gens ont assez bien réussi à bouleverser les canons artistiques précédemment admis par leur société, bien que les évolutions de celle-ci aient sans aucun doute largement préparé le terrain pour ce changement qui était, à grande échelle, somme toute assez prévisible. Lautréamont en témoigne.


Cette fois, comme le propos de son interlocuteur touchait à sa fin, l'Ellipse se poussa à saluer son « effort » - qui semblait tout sauf en être un. Il y avait une aisance absolument remarquable dans son discours, qui ne pouvait qu'appuyer la jeune femme dans son illusion de spectatrice.


- Vous avez raison, je crois, déclara-t-elle. Après tout, à chaque temps sa forme d'art ! Bien que tous n'aient pas été aussi prolifiques...


Elle songea un instant aux dernières nouvelles culturelles qu'elle avait pu saisir du monde des vivants, et préféra retenir sa chute sur cette pente. La nostalgie sans doute inhérente à sa personne avait une fâcheuse tendance à s'attacher à ce qui avait été déjà fait, et son regard sur l'avenir ne pouvait s'empêcher d'être sombre.
Les yeux dans le vague, Marguerite se tut un instant. Sa journée de travail l'avait éreintée, et les quelques heures de sommeil qu'elle s'était forcée à prendre avant sa visite nocturne ne portaient pas tout à fait leurs fruits. Sans doute lui faudrait-il songer à rentrer prochainement dans les bas quartiers des Garbage. Avec une moue amusée, elle se demanda alors comment lui apparaîtraient, au petit matin, les évènements de la nuit. La splendeur de la Cathédrale et son somptueux maître lui laisseraient à coup sûr l'impression d'avoir rêvé.
La jeune femme secoua brièvement la tête pour chasser les brumes qui commençaient à envahir son esprit. Avisant le recueil que Narcisse tenait à la main, elle leva un doigt en sa direction et demanda :


- Au risque de paraître présomptueuse, me feriez-vous l'honneur de poursuivre votre récitation ? L'aperçu que j'en ai eu tout à l'heure me fait dire que vous entendre déclamer ici est du plus bel effet.


La requête était audacieuse, et Marguerite craignit un instant que l'orgueilleux personnage s'en offusque. Pour autant, elle espérait qu'il s'en trouverait au contraire flatté, et passerait outre cette petite folie. S'il consentait, la jeune femme n'aurait plus qu'à se laisser bercer par le flot des vers. Le cycle serait ainsi bouclé, et lorsque son interlocuteur se lasserait, elle pourrait s'éclipser comme elle était arrivée.



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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyVen 16 Mai - 11:28


Narcisse s'était lancé dans sa tirade comme dans un exposé… Etonnament au vu de l'incongruité de la situation, il ne se sentait en cet instant, largement à sa place. Etonnant, pour un orgueilleux, d'être si noctambule, n'est-ce pas ? N'aimer se promener qu'aux heures où très peu peuvent l'apercevoir. Peut être refusait-il simplement cet honneur à ceux qui n'en étaient pas dignes. Difficile à dire : malgré le fait que chacun connaisse le légendaire narcissisme de Narcisse, l'apparent jeune homme n'en demeurait pas moins compliqué à déchiffrer : les nombreuses contradictions qui le caractérisaient y étaient peut être pour quelque chose.

- Vous avez raison, je crois. Après tout, à chaque temps sa forme d'art ! Bien que tous n'aient pas été aussi prolifiques...


La jeune femme s'était contentée d'acquiesser à chacun de ses dires. Cette fille lui paraissait vraiment curieuse. Narcisse était habitué à être considéré avec une sorte de soumission souvent mêlée de fascination, ou fréquenté par des gens qui feignaient de s'attacher à lui par intérêt ou par nécéssité. Il avait aussi à faire face à ceux qui faisaient l'impardonnable erreur de le sous-estimer, ou de se moquer d'un orgueil qu'ils jugeaient démesuré. Ceux là, Narcisse en rencontrait tous les jours ; ils n'étaient même pas dignes de son plus profond mépris. Mais l'illustre personnage était en tous cas habitué à ne pas laisser indifférent.

Ici, il rencontrait une situation assez différente. La jeune femme faisait preuve d'un grand tact, agissant vraiment comme le meilleur de ses sujets, mais sans cette totale soumission qui pouvait flatter et amuser, mais aussi agacer Narcisse à certains moments. Marguerite agissait différemment. Elle mêlait l'expression d'un profond respect à une sorte d'amusement, de jeu tacite, qui ne pouvait que plaire aux facétieux Orgueilleux, tout en excitant sa curiosité. De plus, il semblait vraiment y avoir une part de fascination, et de contemplation, dans son attitude. Il avait l'impression assez curieuse d'être un intéressant spécimen scientifique propre à être passé sous le scalpel de la perception de cette étrange jeune fille. Cela lui était un peu nouveau, et il trouvait ça à la fois stimulant et inconfortable… tout comme la surprise qu'il ressentait à découvrir que Marguerite et lui partageaient apparemment quelques points communs.

- - Au risque de paraître présomptueuse, me feriez-vous l'honneur de poursuivre votre récitation ? L'aperçu que j'en ai eu tout à l'heure me fait dire que vous entendre déclamer ici est du plus bel effet.

Cette curieuse demande ne faisait que confirmer les pensées qui traversaient l'esprit de Narcisse. Il réagit tout d'abord en éludant la question :

- A ce propos, commença-t-il, bien que ce qu'il allait dire n'avait strictement rien à voir avec ce que la jeune femme demandait, il faudra que je songe à aller visiter votre quartier. Renzino sera sans doute ravi de m'y emmener… cet endroit lui est sans doute familier, déclara-t-il en songeant à sa pupille, Lorenzo, qui fréquentait assiduement les autres quartiers, avec une nette préférence pour les trois premiers, mais sans doute aussi pour les bas fonds de l'enfer. Après tout, ces lieux ne devaient pas manquer d'endroits intéressant. Et puis, il était toujours agréable de se voir confirmer, par contraste, sa propre noblesse.

Narcisse marqua un temps et reprit.

- Pour revenir à votre requête... il fit mine d'hésiter. J'y consens, finit-il enfin par déclarer. Je vais continuer sur ma lancée.

Il fit mine d'ouvrir le reccueil au hasard, mais celui ci s'ouvrit naturellement aux pages qui avaient pris le pli dû à une ouverture fréquente, et le poème "Elevation" apparut, inspirant à Narcisse l'esquisse d'un demi sourire. Il allait se remettre à déclamer : cette curieuse boucle semblait bouclée.

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,

Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides;
Va te purifier dans l'air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

...


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MessageSujet: Re: ۩ Pour un parfum de romantisme noir... ۩ [RP terminé]   ۩  Pour un parfum de romantisme noir...  ۩    [RP terminé] EmptyDim 18 Mai - 21:37




- A ce propos, il faudra que je songe à aller visiter votre quartier. Renzino sera sans doute ravi de m'y emmener… cet endroit lui est sans doute familier.


A ces mots, un léger tressaillement vint entrecouper l'indolence de Marguerite. Elle se demanda un instant qui ce nom pouvait bien lui rappeler, avant de se laisser mollement retomber sur son siège. L'usage du surnom laissait opaque le mystère de cette subite réminiscence, et la jeune femme ne se sentait pas la force de creuser davantage la question.
Elle sourit alors à la remarque de son interlocuteur. Sans doute aurait-elle même rit si elle s'était essayée à imaginer l'éternel Orgueilleux en des lieux aussi bas que son quartier. Se convaincre qu'un être assez proche de lui pour mériter un surnom pouvait fréquenter un tel séjour lui était déjà assez ardu.


- A l'occasion, je pourrais également être votre guide, si toutefois vous acceptiez que je remplisse ce rôle, répondit-elle. En ce cas, prévenez-moi si vos pas vous y amènent un jour.


Vraiment, elle songea que cette situation offrirait un curieux revers à leur présente rencontre. Narcisse passerait de son statut de « maître des lieux » à celui de « visiteur », et Marguerite... Marguerite en guide ? Cette perspective était pour le moins cocasse, mais la jeune femme se connaissait assez pour savoir qu'elle ne résisterait pas à l'envie de voir les traits du jeune éphèbe se décomposer à la vue de la résidence des Garbage. Si son ami « Renzino » l'accompagnait, sans doute y reconnaîtrait-elle d'ailleurs un de ces visages qu'il lui arrivait de croiser là-bas.
Mais déjà, son interlocuteur reprenait :


- Pour revenir à votre requête... J'y consens. Je vais continuer sur ma lancée.


Marguerite sourit de la fausse hésitation avec laquelle Narcisse avançait cette réponse. En outre, elle se réjouissait de ne pas avoir provoqué la colère du gourou, et d'obtenir satisfaction à sa requête.
D'un geste un peu pataud qui lui ressemblait fort, elle entreprit donc de s'assoir en tailleur sur le banc, position qu'elle jugeait plus confortable. Ses genoux osseux disparurent aussitôt sous la masse cendrée du pull, suivis des mains, que les poches avalèrent de nouveau. Le visage de la jeune femme, à son tour, tâcha de se prémunir contre les courants d'air froids qui traversaient la Cathédrale, et son menton se fondit dans le col. Seuls ses yeux, levés vers l'estrade, suivirent dès lors les gestes du maître. Le recueil s'ouvrit entre les mains de ce dernier, qui entama alors sa récitation.
Charmées par la danse des vers, portée par cette voix mélodieuse que grandissait indéniablement la majesté des lieux, les paupières de Marguerite ne tardèrent pas à se clore. Alors que son esprit, profitant d'une longueur d'avance sur le sommeil, suivait encore les aléas du poème, l'Ellipse guetta la strophe finale pour quitter doucement l'abri de son pull.
Comme Narcisse prononçait la dernière rime, la jeune femme se leva, esquissa quelques pas vers l'allée centrale et, hésitant un instant, finit par se retourner encore une fois :


- Je vous remercie, déclara-t-elle simplement.


Dehors, la nuit devait être bien avancée, aussi Marguerite ne se sentait-elle plus encline à dépasser les bornes de son habituel laconisme. D'un pas raide, un peu gauche, elle gagna la porte principale, veillant à ne pas troubler le silence. Elle oublia toutefois que le battant monumental grinçait terriblement, et elle ne put s'empêcher de grimacer lorsqu'il le lui rappela.
Sa silhouette se glissa alors dans l'espace entrouvert et, attirant la porte dans sa suite, se dissipa aussitôt dans l'obscurité.


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