Les bruits de bottes crissent dans le sable froid de la ville endormie. Les seules lumières qui nous parviennent, en dehors de celles de nos équipements de vision nocturnes, viennent de ce bar. Là où est censé se trouver notre cible. Deux gardes surveillent la porte. Je fais signe à mes hommes de s'arrêter, avant de tirer rapidement, imité par mon second. Les corps s'écroulent sans comprendre ce qu'il leur arrive. Je me mets à courir en direction de la porte, avant de donner un violent coup de pied dedans, la faisant sortir de ses gonds. La cible sait déjà que nous arrivons, et a placé son pistolet sur la tempe d'un jeune gamin, sûrement le fils du barman. Je n'ai pas le temps de réfléchir. S'il donne l'alerte, toute la ville sera à nos trousses. Je tire, une fois, deux, trois... Je perds le compte.

Le gamin ne fait pas office de bouclier très longtemps. Criblé de balles, il s'écroule, et la cible avec lui. Le barman pousse un cri rapidement étouffé par deux tirs. Je m'approche fébrilement de la cible, écartant l'enfant de ma botte. Prenant une photographie du cadavre, je fais rapidement signe à mes hommes de s'éloigner, laissant l'enfant se vider de son sang, encore en vie.


Son regard me suit encore sortir de ce bar miteux lorsque je me réveille en sursaut. Maudits cauchemars ! Je passe une main sur mon visage en cherchant à effacer cet énième souvenir qui revient à la surface. Je me recouche en cherchant à retrouver le sommeil, mais il est trop tard. C'est totalement inutile. Je regarde l'heure, avant de grogner. A peine une heure que je me suis couché. Il est à peine minuit. J'avance dans mon petit appartement, cherchant mon petit bar personnel, vérifiant chaque bouteille qui jonche le sol. Toutes vides. Je jure de nouveau en enfilant un T-shirt frappé des lettres noires "ARMY", avant de claquer la porte de mon chez moi.

Je ne cherche même pas à me souvenir si j'ai pris mes clés, vu que je sais que j'enfoncerais probablement la porte en rentrant. Ce soir, j'ai prévu de boire. Je parcours les rues de l'Enfer les mains dans les poches, dans ma tête des mauvais jours. Celle qui signifiait autrefois que j'allais sûrement tordre le cou à quelqu'un, et pas au sens figuré. Mon petit troquet habituel ne me dit rien, surtout depuis que j'y ai cassé deux-trois trucs. Je continue donc ma route. Il doit bien y avoir un pub dans cette ville, non ?! Mais j'irais en Enfer bien avant de... Enfin, je demanderai pas mon chemin, quoi. Plutôt mourir. Enfin, merde, vous avez compris !

Tout en déambulant, je finis par arriver dans le quartier de l'Envie, et plus précisément devant ce qui a l'air d'être un parfait pub irlandais. Voilà ce qu'il me faut ! Pas de la bière dégueulasse, mais de la vraie de vraie. Et dans une ambiance enfumée et prompte à se battre, qui plus est. Tout ce que j'aime. J'y rentre en poussant la porte sans hâte, respirant à grande goulée cette ambiance enfumée de bières et de réjouissance. Parfait. Dans la cohue, je ne trouve aucune table libre, et décide donc de m'installer directement au bar. Ce sera mieux pour se faire entendre de toute façon. Tout y est : les bières, les serveuses rousses, enfin, au moins une, les soiffards, les déjà bourrés...

Je m'installe aussi confortablement que possible sur le tabouret en faisant signe à la serveuse de m'apporter une bière. Une fois celle-ci dans ma main, et la première gorgée dans mon estomac, je me retourne pour observer le monde qu'il y a. Une deuxième bières vient rejoindre la première, puis une autre. Je vous ai dit que j'avais envie de boire, non ? Alors je bois. Parmi tout ce monde, un seul me dévisage, et depuis un moment en plus. Je mets un instant avant de le remarquer, et un autre pour m'apercevoir qu'il a disparu de sa place. J'allais presque le faire sortir de ma tête quand un coup de poing me cueille sous le menton, m'envoyant valser de ma chaise.

Mes sourcils se froncent —ce qui n'est jamais bon signe— en reconnaissant monsieur-je-te-regarde-de-travers. La quarantaine, les cheveux rasés, deux cicatrices en-travers de la gorge... Je ne le recase pas. Je me relève néanmoins dans le silence en m'essuyant la lèvre.


- T'es qui toi ? je demande d'un air passablement exaspéré.


Il me regarde d'un air insulté avant de commencer à baragouiner. Aah oui, je le replace maintenant avec la langue. Le propriétaire du bar. Celui à qui j'ai tué le fils. Marrant que lui soit là sans son gamin. Je m'approche tranquillement du bar, finissant ma bière d'une traite.


- Aah ouais. T'en as pas eu assez la première fois c'est ça...?


Je n'ai pas fini de parler que mon verre fonce déjà vers son visage, tandis que je saisis le tabouret pour le lui briser contre l'estomac. Et c'est là que ça devient confus, parce que beaucoup d'autres se sont joints à la bagarre, et que j'ai distribué les coups en recevant la monnaie de ma pièce !

Les ombres bougent, c’est mauvais signe. Je ferme les yeux l’espace de quelques secondes avant de les rouvrir pour parvenir de nouveau au même constat. Soit j’en ai trop pris, soit l’heure est bien plus avancée que ce que je croyais. Dans un soupir blasé je me redresse difficilement et observe le bordel au pied du canapé, balancé négligemment lorsque Morphée commençait à m’attirer dans ses filets venimeux. Y’a pas à dire, faudra que je remercie Mason pour le petit trésor qu’il a réussi à me dégoter hier. D’une main distraite je repousse la mèche indisciplinée qui me retombe devant les yeux avant de tenter de fixer un regard passablement embrumé sur l’horloge la plus proche. Difficilement dans l’obscurité régnant dans la pièce. Et ça, ça ne peut vouloir dire qu’une seule chose. Je suis à la bourre, encore. En mode zombie, je traverse la pièce, une main contre le mur pour éviter de chuter sur le premier objet venu- faut dire que c’est vraiment le bordel ici ces derniers temps- avant d’atteindre l’objet convoité. Un bref coup d’œil sur les aiguilles m’informe de la situation plutôt craignos.

"Eeeeh merde !!"

Après avoir cherchée à tâtons l’interrupteur, l’applique inonde soudain la pièce d’une lumière vive me forçant à plisser les yeux pour ne pas faire ressortir le mal de crâne que je sens poindre non loin. Le manque de nourriture ça … Sans perdre une minute compte tenu du fait que j’ai pas loin d’une heure de retard au boulot déjà, je balance mes fringues usagées sur l’accoudoir du fauteuil et après une toilette sommaire enfile l’uniforme réglementaire. Une chemise blanche, suffisamment échancrée pour que la clientèle observe plus le décolleté que leur porte-monnaie, et un short noir des plus classiques. Un rapide coup de brosse discipline bien vite ma courte tignasse et je laisse derrière moi la salle de bain, manquant de trébucher sur un carton de pizza vide. Je ne peux m’empêcher de sourire devant le boxon régnant dans la pièce, même vivant seule, j’ai un peu honte de laisser trainer les choses à ce point ces derniers jours. Après les derniers préparatifs, moins de vingt minutes plus tard, je jette à nouveau un coup d’œil à l’horloge tout en m’emparant de mon paquet de clopes déjà bien vidé et c’est après en avoir inspecté le contenu que j’en accroche une à mes lèvres. Les vieilles habitudes ont la vie dure, et c’est probablement la seule que je vais pouvoir me permettre avant la fin du service.

Les escaliers dévalés, la porte de l’immeuble rudement ouverte à coup de pied, je cours pour rejoindre le boulot, ignorant l’agitation qui peuple souvent les rues à cette heure avancée de la soirée. Clope au bec, veste sous le bras, je m’attire évidemment des regards curieux, mais peu importe, et c’est avec une grimace de mécontentement que j’arrive devant le pub. Je déteste courir … Un bref coup d’œil à l’intérieur m’indique que c’est déjà la foule là-dedans, aussi je préfère passer par la porte de service et faire preuve de discrétion. Après un bref coup d’œil, pas de boss, je pose mon barda vite fait et file en salle rejoindre mes collègues de la soirée déjà au turbin. L’une d’elle me fait signe de rester derrière le comptoir, visiblement déserté pour le moment, et je m’exécute, ravie de ne pas avoir à courir entre les diverses tables. Faut dire que j’ai encore un peu la tête dans le cul, et malgré la douche, ça doit se voir. Un nouveau coup d’œil sur l’heure, ça va, j’ai limité les dégâts, il n’est que 22h30. Et c’est partit pour une looongue nuit. Discrètement appuyée contre le comptoir, je me contente de préparer les commandes et au passage de me réveiller un peu lorsque le gros du peuple finirait par arriver, d’ici une bonne demi-heure en somme.

Une heure et demi plus tard, le pub est plein à craquer et j’ai bien été obligé de me bouger pour rejoindre les autres en salle tant le peuple afflut encore. A croire que tous les pochtrons du coin s'étaient donnés rendez-vous ce soir-là spécialement.  Pas plus mal au fond, plus de gens voulait souvent dire plus de pourboires à la fin du service. Voltigeant entre les tables, plateau sur une main, je prend pourtant le temps d’observer les visages présents parmi la populace, un certain nombre de connaissance, énormément d’inconnus toutefois, peu d’habitués donc. Profitant d’un reflux de commandes, je me pose au bar l’espace d’une seconde pour souffler et me sert un verre d’eau discrètement. J’aurais préféré autre chose évidemment, mais si je veux tenir la soirée, mieux vaut éviter. Deux minutes, c’est le temps qu’il a fallu pour qu’une bagarre éclate. Presque sous mon nez en plus. A ….. une dizaine de centimètres près pour être exact. Faut dire que le mec n’y ait pas allé de main morte. Figée dans la dégustation relative du liquide sans saveur, j’observe l’assailli se redresser sans un mot plus haut que l’autre pour le mec qui vient de lui en coller une en pleine poire. Plus stoïque tu meurs. Quoi que … finalement il ne lui faut pas longtemps pour répliquer en fait ! Et pour que tous les autres suivent …. C’est ça le problème quand tu bosses dans un lieu pareil, le moindre débordement part en live avec toutes les personnes éméchées qui trainent dans le coin. Et on a qu’un seul videur …. Je le cherche d’ailleurs du regard avant de le voir aux prises avec deux hommes, un peu plus loin dans la foule. Les serveuses s’acharnent à séparer les combattants, je finis par me résoudre à faire de même, c’est ça ou le pub sera à retaper entièrement. Saisissant par le poignet ma collègue qui se planque pour tenter d’éviter la corvée, je la tire à ma suite pour rejoindre les deux hommes ayant démarré la baston et visiblement bien partie pour finir la nuit en se tapant dessus. Ma collègue se faufile tant bien que mal entre les deux combattants, évitant un coup de poing de justesse, et parvient à défaire leur prise sans que je ne capte trop comment, mais je profite de l’agitation pour saisir le bras de celui se trouvant à ma portée pour le tirer en arrière avant de me récolter un coup violent dans les côtes, me pliant en deux sous le choc.

"Putain …. "

Sans trop réfléchir, je ne lâche pas le bras du gars et recule, me frayant un chemin à coup de coude, à l’aveugle. Ce n’est qu’une fois l’autre hors de vue que je m’arrête, essoufflée par l’effort et la douleur de mes côtes alors que le type se retourne vers moi. C’est d’un ton passablement ironique que je m’adresse à lui, sans pour autant relever les yeux pour le moment fixés au sol.

"Ca se voit que c’est pas toi qui range tout le bordel après… "

Je relève la tête quelques secondes plus tard pour apercevoir le visage tuméfié du mec avant d’étouffer un léger rire.

"Tsss .... tu t’es bien arrangé tiens !"

Mon regard se décale légèrement et se pose dans son dos où ma collègue semble peiner à retenir l'autre type, l'instigateur de la baston générale, ce dernier tentant de la contourner, semblant vouloir éviter de la bousculer directement. Curieux pour quelqu'un qui frappe sans sommation ...

Malgré la bataille alentours et le nombre de coups que je donne —et que je reçois !—, je ne perds pas de vue mon objectif. C'est-à-dire, le type qui m'a dérangé pendant que je buvais MA bière. A un moment, il est proche, et je lui donne un violent coup, sans aucune grâce dans le mouvement, l'instant suivant, il est à quelques mètres de moi. Ça en devient insupportable, il faut en finir ! Enfin, jusqu'à ce qu'il se réveille avec la gueule de bois. C'est tout ce qu'on a ici quand on "meurt" : une foutue gueule de bois. J'avance péniblement dans sa direction en ne me laissant pas déconcentrer, et lui décoche un coup de poing suivi d'une prise imparable destinée à lui briser les os de l'avant-bras...

Mais on me retient. Je grogne en frappant au hasard, satisfait d'entendre un juron. Toutefois, l'autre ne me lâche pas, et le temps que je cherche à voir qui me tire en arrière, mon adversaire a déjà disparu dans la foule, alors je me laisse tirer en grognant de plus belle. Je finis par reconnaître la personne qui m'a empêché de mettre une correction à cet imbécile, et je reste passablement surpris de voir une des serveuses. Cette gamine aurait du muscle ? En tous cas, elle a du cran. Pour essayer de faire le boulot des videurs, ouais, mais surtout pour essayer de séparer deux combattants. Si elle me connaissait, peut-être qu'elle aurait pas essayé aussi. Enfin, quoique. Il paraît que la menace de tuer ne fait plus tellement peur dans ce coin là. Foutu monde.


- Ranger quoi ? Trois tables cassées et deux ivrognes hébétés ? je réplique du tac au tac.


Sa référence à mon allure me fait toucher mon visage par réflexe. Je sens mon sang bouillir à l'intérieur tandis que je tâte ce qui fera sûrement de jolis bleus. Ils y sont pas allés de main morte ! Je grogne de nouveau en reposant mon regard sur la rouquine, mais elle regarde déjà ailleurs. Je me retourne aussi du coup, juste pour voir ce sale type essayer de revenir vers moi. Et puis, brusquement, je me mets à rire. La situation est décidément beaucoup trop drôle. Un type que j'ai buté venant me frapper, pourquoi pas. Après tout, ça sera pas le premier, et pas le dernier sûrement. Ensuite, une serveuse qui me tire d'un combat. Ça, c'est déjà plus inhabituel. Mais qu'en plus de tout ça, ce type ne comprenne rien à rien, et toute cette bagarre... Non, ça n'était pas juste drôle. En fait, c'était hilarant. Je continues à rire en tirant une chaise pour m'asseoir. Adossé au mur, trempant mes doigts dans un verre pour les appliquer sur mon visage, j'observe tour à tour mon ennemi chercher à se frayer un chemin et la serveuse rousse devant moi.

Plutôt petite, le premier truc que je vois (que je vois vraiment je veux dire. Parce que bon, voir des teintes de couleurs flous c'est une chose, la reluquer en est une autre...), c'est ses tatouages. Je siffle pour marquer mon approbation. Elle est tatouée et elle a du cran. Elle monte dans mon estime ! Allez. Peut-être que j'allais même pouvoir un peu l'aider avec son pub, avant qu'on ne le réduise à l'état de ruine. Je me relève difficilement, j'étais décidément bien calé dans ce siège, et assomme un type qui voulait s'approcher de moi du plat de la main dans le cou. Un coup mortel... Autrefois.


- Dis donc miss, je sais pas où est votre videur, mais il a l'air débordé.


J'observe sa collègue essayer de retenir l'ex-barman assassiné, avant qu'une bousculade ne me les cache. Je fais craquer mes épaules en observant les gens alentours avec un sourire mauvais. J'ai jamais été videur, mais il est facile de comprendre leur boulot. C'est pas de foutre tout le monde dehors, juste ceux qui en font le plus. Et ceux là sont facilement repérables, généralement, ce sont ceux qui ne se prennent aucun coup, tant ils sont occupés à allumer l'ardeur des combattants. J'en repère deux trois qui exhortent leurs potes au combat.


- Si ça t'intéresse, je peux l'aider... mais en échange je veux virer l'enfoiré qui m'a frappé, et boire une autre bière aux frais de la maison.


Ça va, j'en demandais pas trop non plus... Et puis, l'envie de frapper tout un tas de gens me donnait des petits frissons de plaisir rien que d'y penser. Y'avait que ça d'vrai, l'adrénaline ! Avant même qu'elle ne parle de nouveau, je frappais déjà un autre type, déjà passablement amoché, juste histoire de m'échauffer. Et puis, le couteau accroché à ma cheville allait gentiment trouver son chemin vers la gorge de cet imbécile, histoire qu'il fasse de beaux rêves. Non, ça le tuerait pas mais, un, ça me soulagerait, et, deux, ça nous en débarrasserait tous. Ce plan bien réfléchi bien sûr, c'était avant que tout un groupe se tourne vers moi pour me foncer dessus. Tâchant de réfléchir en dépit de l'alcool, je raclais le premier, accueillis le second avec un coup d'épaule, et le troisième reçut mon poing en plein dans le nez. Tout ça en recevant un minimum de coups. La classe, non ?

Un seul truc me dérangeait toutefois. La dernière fois que j'avais vu le sol, il ne me semblait pas qu'il soit mouvant... Je fronce les sourcils, mais d'incompréhension cette fois. Je retrouve au hasard la rouquine, et attrape une chaise pour m'y asseoir.


- Ils cognent fort... je remarque en grognant. Ah ouais au fait. Désolé du coup, ça n'avait rien de personnel, dis-je en ricanant de plus belle.

Trois tables ? Et le reste ouais ! Les coups qu’il a pris sur la tête l’ont probablement empêché de compter correctement, rien de surprenant lorsque l’on regarde le nombre d’hématomes en train de prendre naissance sur sa peau. Alors qu’il se tourne dans le but probable de chercher à retourner cogner sur l’autre type, je l’observe de dos, perplexe avant de hausser les épaules et détournant également le regard. Sauf que contre toute attente, il ne s’élance pas à nouveau dans la baston mais se contente d’éclater de rire. Il se marre, debout au milieu de ce bordel qu’ils ont tous deux déclenchés, visiblement la situation semble particulièrement risible. Je fronce légèrement les sourcils, car à l’évidence, je viens de rater un épisode, avant de passer une main dans ma tignasse déjà emmêlée, geste purement mécanique induit par la nervosité qui m’envahit peu à peu. Je viens tout juste de remarquer que le type que j’ai essayé de contrôler fait presque deux têtes de plus que moi … Et je comprends d’un coup pourquoi mes côtes me font vraiment mal en fait ! J’observe les lieux, toujours enclin à la cohue et au bordel général avant de reporter mon attention vers le rieur qui semble s’être légèrement apaisé et qui m’observe, désormais assis. Lâchant un léger soupir blasé, je m’apprête à lui rétorquer lorsqu’un mouvement à ma gauche m’incite à bouger brusquement pour éviter un coup. Pas que je sois spécialement trouillarde, mais vu la stature de la plupart des clients du bar, un simple coup sur la tête suffirait à m’assommer pour la reste de la nuit, et vu le boulot à venir, ce n’est pas franchement la meilleur option. J’esquisse toutefois un sourire en voyant le type mettre mon potentiel assaillant, ainsi que le sien du coup, hors d’état de nuire d’un simple revers de main. Impressionnant. Il finit par reprendre la parole d’une voix plus ... cordial, et attise de ce fait ma curiosité. C’est d’un geste de la main englobant la quasi-totalité de la salle que je lui réponds presque instantanément.

"J’dirais qu’il est dans ce foutoir, et encore, j’en suis même pas sûre !"

Ca ne serait pas la première fois qu’il nous ferait le coup de se tirer lorsque la situation devenait trop incontrôlable, laissant le plaisir aux autres de ramener un peu de calme au sein du pub. Ca joue les gros bras mais quand la situation se complique, ça fuit la queue entre les pattes. Incorrigible. Toujours est-il que pour l’instant, j’ignore où il est donc bon … s’insurger n’y changera rien. Je jette un coup d’œil au type toujours debout, et voyant qu’il semble avoir momentanément abandonné son envie de retourner casser le nez de son comparse, envisage de continuer le tri dans l’assemblée bordélique lorsqu’il me coupe dans mon élan avec une proposition, ma foi fort sympathique ! C’est l’air surprise que je le fixe quelques secondes alors qu’il m’expose des conditions à son aide providentielle, et je ne peux retenir un sourire devant sa demande qui n’en ait pas franchement une en fin de compte. Après tout s’il se propose, je ne vais pas non plus refuser, hm ! Sans même attendre une quelconque réponse de ma part, il retourne dans la mêlée. Je hausse les épaules en le regardant se défouler parmi les fauteurs de troubles, retenant un sourire quelque peu amusé. Une vrai flèche ce mec, tiens pas en place deux minutes !

Reprenant soudain conscience de la situation, je finis par rejoindre ma collègue en peine avec l’autre type et avec l’aide de cette dernière, parvient tant bien que mal à la faire reculer en direction de la sortie. Après tout, je ne lui avais rien promis, non ? Il aura double ration de bière pour compenser le manque ! Le type se débat, c’est qu’il en veut le bougre ! Agacée, je finis par user d’une attaque typiquement féminine mais au combien efficace et avant de prendre un coup dans l’épaule lui envoie mon genou en plein dans les valseuses. Après plusieurs essais infructueux, on finit toutefois par atteindre la porte et je le repousse dehors sans grande délicatesse. Je pense pas que mon coup ait été le pire qu’il se soit prit, mais ça n’a pas dû l’aider, c’est sûr ! Ah tiens, j’aperçois brièvement la tête du videur au milieu du bordel, quelques secondes à peine avant qu’il ne disparaisse sous les coups, et je ne peux m’empêcher d’avoir une infime pensée pour lui. Pas envie d’être à sa place … Je me décale d’ailleurs de la mienne, reculant vers le mur afin d’éviter deux lutteurs roulant sous mon nez. Une tête connue repasse devant mes yeux, mettant au sol son adversaire d’un coup bien placé avant de tirer une chaise pour s’y assoir comme si de rien n’était, visiblement pas dérangé le moins du monde par les quelques soiffards encore en train de se taper dessus. Un bref coup d’œil m’indique toutefois bien vite que le nombre de lutteurs a fortement diminué, la plupart soit au sol, K.O, soit assis ou affalés contre les murs, récupérant des coups reçus. Reculant vers la chaise désormais squatté par mon aide de camp éphémère, je baisse les yeux vers lui en l’entendant reprendre la parole et esquisse un sourire amusé et un brin moqueur.

"T’inquiète, j’ai rien senti. "

Conneries, mes côtes me font un mal de chien en vérité, et j’irais bien descendre un ou deux shooters pour anesthésier un peu tout ça … M’enfin, ça attendra un moment plus propice. J’oublie momentanément la douleur qui m’irradie le flanc avant de reprendre en haussant un peu le ton pour couvrir les bruits de chutes des derniers lutteurs.

"Au fait, ton type, il a fini dehors sans ton aide ! T’aura une bière de plus en compensation, à prendre ou à laisser ! "

Au final, le videur s’est pris plus de coups qu’il n’en a donné, et c’est à le voir s’acharner sur le dernier type encore vindicatif – les autres s’étant tous plus ou moins mis au sol entre eux – que j’en conclus rapidement la fin de la baston. D’un signe de tête, j’invite le rescapé à me suivre au bar avant de le contourner, sortant deux bières au passage avant de jeter un coup d’œil désolé à la pièce pour constater les dégâts. Plusieurs tables brisées, sans parler des chaises, un miroir explosé, mais oh miracle ! … toutes les vitres intactes ! Je soupire tout de même, imaginant déjà la crise à venir du supérieur. Mes collègues rejoignent également le comptoir ou bien se pose sur des tables encore debout le temps de récupérer. Cherchant de ma main libre un décapsuleur, l’ouvre les bouteilles et en pousse une vers mon invité temporaire avant de le dévisager avec un peu plus d’attention maintenant le calme revenu.

"Profites-en, les cadeaux se font rares. Et merci pour le coup de main …."

Je fronce légèrement les sourcils en observant son visage abimé avant de reprendre, un infime sourire en coin.

"Pas trop mal au crâne ? "

Coriace, par dessus le marché ! Elle a rien sentit, qu'elle dit. S'il n'y avait pas autant de types allongés au sol qui pouvaient la contredire, j'en aurais presque été vexé... Mais non, pas pour si peu. Et puis, elle devait avoir sa fierté. Ou son gilet de Kevlar sous son chemisier, allez savoir. Encore quelques éclats de voix et les bruits sourds des coups, et puis elle reprend la parole, pour m'annoncer que mon cher ennemi s'en est allé manger les pâquerettes dehors. Je fronce les sourcils, non pas parce que je commence à m'énerver de nouveau — quoi que ça aurait tout aussi bien pu, me connaissant —, mais plutôt parce que l'image de la serveuse poussant de ses petits bras le sale type dehors a de quoi me faire réviser mon opinion sur elle. Enfin, pas trop non plus. J'ai déjà pu observer qu'elle a un p'tit quelque chose, elle a du niaque ! Ça me plaît. Du coup, je ne proteste pas trop, et j'accepte la proposition d'avoir une deuxième bière aux frais de la maison. L'appel de l'alcool aura ma peau. Enfin, une autre de mes peaux. J'ai pas trop de soucis à me faire à ce niveau là, en fait.

La soif de sang de mon couteau attendra bien assez tôt pour être assouvie. Qu'est-ce que je suis fier d'avoir pu trouver un vrai couteau de l'Armée, bien affuté et tout ! Ça m'a coûté pas mal, mais en même temps, j'ai pas besoin de me payer une assurance-vie. Alors j'ai pas de remords. J'attrape un tabouret, virant du bout de la semelle de ma Ranger un type assommé, et m'assoit confortablement, prenant une des bouteilles dans une main, avant d'hésiter, et de pousser l'autre dans la direction de la rouquine.


- Pas de chichis. Si t'as l'cran pour vider ce bar, alors t'en as aussi pour boire pendant ton service ! dis-je en riant doucement. "Profites-en, les cadeaux s'font rares..." je répète avec un sourire narquois, avant de trinquer sa bouteille.


Avalant quelques gorgées de bière d'un air nonchalant, je grimace à sa remarque en me passant une main sur la nuque. J'ai une si mauvaise gueule que ça ? Pourtant, d'après ce que je sens, je ne trouve rien d'alarmant. Enfin, rien qui puisse me faire passer la nuit à roupiller. Au contraire, même. Mes hématomes sont très superficiels. Et c'est bien dommage, tant qu'on en parle. Ne plus pouvoir se blesser sérieusement ? Ne plus avoir qu'une seule vie, mais plusieurs, comme dans un jeu vidéo ? Ben ça craint un max. Déjà, parce que je peux plus réduire au silence tous ceux qui m'insupporte, mais en plus, parce que ça me fait devenir de plus en plus imprudent. A essayer toute sorte de trucs à la con, ou à provoquer ceux qui me revienne pas juste pour m'amuser. Bon, après, c'est vrai que c'est marrant. Mais bon. Tout ça pour dire que j'aurais quelques bleus qui disparaîtront bien vite, pas de quoi m'emmener en chirurgie. Ces types savent peut-être cogner avec tout leur poids, mais ce qui est sûr, c'est que moi je frappe pour tuer et blesser. Mes quelques adversaires ne bougent plus, et ne se réveilleront pas de sitôt. Même s'ils le feront, bien sûr. Quel dommage.


- Nah. J'ai la tête dure, va. Ça s'ra passé d'ici quelques heures, au plus. A moins que j'enchaîne les bières, ce qui reviendra au même !


Je marque une pause en buvant à la bouteille, détaillant un peu plus la rouquine. Plutôt mignonne. A moins que ça ne soit son uniforme. Ou les deux. J'en sais rien. Peut-être aussi que l'alcool couplé aux coups que j'ai reçu me font un peu perdre les maigres neurones qu'il me restait. J'en sais rien, j'ai dit ! J'suis pas médecin, moi ! Un bruit sourd en direction de la porte me fait tourner rapidement de la tête, histoire de vérifier que le type ne revienne pas me chercher des noises. Auquel cas ma main a déjà fusé vers ma cheville, prête à saisir mon couteau. Mais non. C'était juste un type s'effondrant sur le sol avec grande classe, et sans aucun autre bruit. Je reporte mon attention sur la serveuse, finissant ma bière à petites gorgées.


- Je crois pas qu'on ait été présenté : Jason Ellis, coach de sport ici bas. Et tueur là-haut, j'annonce avec un petit rire malsain, songeant à ma magnifique blague que moi seul puisse comprendre.


Pas vraiment le genre de chose à dire à une dame, peut-être, mais si elle est en Enfer, c'est qu'il y a une raison ! Alors, des tueurs... C'est pas vraiment ce qui manque par ici. Je tends une main bourrue au-dessus du comptoir, tandis que je pousse de nouveau le type assommé à mes pieds qui bouge dans son sommeil. C'est pas croyable ça !

Avalant quelques gorgées de la boisson amère, j’observe l’homme me faisant face avec une moue passablement amusée. C’est pas le genre de type à admettre une quelconque faiblesse, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Sa remarque sur les bières me tire un léger rire. Pour le moment, c’est plutôt mal parti pour toi mon vieux ! Mes yeux parcourent le bar vidé et sans dessus dessous alors que je réfléchis tranquillement, ayant déjà oublié l’épisode de la baston qui venait pourtant tout juste de se finir. Pas envie de me prendre la tête à ce sujet, loin de là, tout comme l’envie de travailler commence également à prendre la poudre d’escampette à mesure que le liquide alcoolisé s’immisce tranquillement dans mes sens pas vraiment éveillés. Un dernier regard en direction de la porte principal passablement esquintée contre laquelle vient de s’effondrer un des rares soiffards encore debout avant de reporter mon attention sur le visage de l’homme me faisant face. Le goulot toujours au bord des lèvres, sirotant distraitement le contenu de la bouteille, je l’observe sans aucune gêne, poussée par la curiosité. Le moindre trait, les moindres petits détails de sa physionomie. C’est qu’il a réussi à éveiller quelque peu mon attention le bougre ! Un visage aux traits durs malgré le sourire, ou quelque chose s’en approchant en tout cas, qu’il affiche, doté d’un barbe de plusieurs jours. Ca lui donne un genre ! Je laisse mes yeux se promener sur ses bras quelques secondes, assez musclés, à croire qu’il fait du culturisme ou un truc du genre. La réponse m’apparait bien vite en réalité lorsqu’il reprend soudainement la parole pour se présenter, s’attirant de ma part un regard passablement intrigué. Un rire nerveux me prend et je me contente de hocher la tête à ses paroles avant d’avaler une nouvelle gorgée, une des dernières pour finalement lui répondre, sans pour autant serrer la main tendue. J’ai toujours du mal avec les mondanités …

"Elena. – je tends les bras autour de moi avec un léger rire – serveuse comme tu as pu le constater, et potentiellement videuse lorsque des troublions s’amusent à foutre le bordel dans mon bar !"

Je le vise, plus ou moins. Après tout, il fait partie des deux loustics ayant entamés les hostilités, même si ce fut contraint et forcé. J’affiche un visage impassible, laissant planer le doute sur le sérieux de ma phrase avant de lâcher un infime soupir. Ca y est, le désir de travailler vient définitivement de me quitter, je n’ai qu’une envie, retourner m’allonger, un joins entre les lèvres pour m’évader. Le contrecoup peut-être … Peu probable en fait. Mon regard accroche l’horloge encore intacte, encore deux heures, et je pourrais quitter le service. Mais maintenant que les lieux sont vidés, ces dernières risquent de s’avérer bien longues. Quitte à s’ennuyer, autant taper la discussion ! Mais pas le ventre vide. Je passe sous le bar l’espace d’un instant pour me saisir de deux verres et d’un duo de bouteilles avant de refaire surface, apercevant au passage un nouveau client. Du revers de la main, je pousse négligemment un verre encore vide vers le dénommé Jason en lâchant discrètement.

"Je m’occupe de lui, et on pourra se remettre à discuter."

Sur le comptoir, une bouteille de scotch, une de vodka. Hé, quitte à boire, autant se faire plaisir ! Sourire en coin à l’attention  du videur de fortune avant que je n’aille prendre la commande du nouvel arrivant. Dix minutes plus tard et la clientèle encore consciente satisfaite, je reviens m’assoir au bar, côté consommateur cette fois-ci, et c’est tout en nous servant à boire sans même lui demander ce qu’il préfère que je reprends parole, les yeux braqués sur nos futures consommations.

"Qu’est-ce qu’un coach sportif fout dans un bar à minuit passé, qui plus est pour se battre ? T’es pas le genre à devoir avoir une vie saine ou un truc du genre ? "

Vodka orange pour moi, double whisky pour lui, j’entrechoque nos verres avant de boire ma première gorgée, pour me retourner vers lui ensuite, croisant de nouveau son regard. Une vie saine … si y’a bien un truc que j’ai pas, c’est ça ! Mais bon, inutile de m’étaler sur sujet précis. Quoi qu’il en soit, il m’est sympathique pour le moment, et quitte à boire un peu, autant le faire en bonne compagnie ! Je croise les jambes et m’appuie négligemment sur le comptoir sans le quitter les yeux tout en sirotant mon verre. Un question me traverse l’esprit et m’échappe sans que je ne réfléchisse aux conséquences, une fois de plus.

"Au fait, il te voulait quoi le type ? A part te casser la gueule s’entend, parce que ça je crois que j’avais compris …  "

Comment ça on ne questionne pas un inconnu ? Peuh, c’est un détail … Et puis, un inconnu avec qui on trinque n’en ait plus un, la question ne se pose donc pas !

Reposant ma main sur le comptoir comme s'il s'était agit d'un geste tout à fait normal et calculé, et non pas d'un échec cuisant de ma tentative de lui serrer la pince. Après tout, peut-être avait-elle compris après son examen minutieux de ma personne, et mes explications sur mon métier de tueur, qu'elle n'avait décidément pas envie de me serrer la main... Ce qui pouvait se comprendre. Mon grand jeu dans cette formalité était bien d'écraser les phalanges de l'autre, histoire de voir qui pisserait le plus loin. Remarquez, c'était pas sûr que je lui aurais écrasé sa main ! Elle a pas l'air de pouvoir potentiellement me rendre la pareille, donc pour le coup... Elle n'avait pas grand-chose à craindre, ou en tous cas pas de moi. Enfin bon. Je le prenais pas mal, dans tous les cas. Vous vouliez que je fasse quoi ? Que je m'énerve pour un truc comme ça ? J'aurais rempli les 3/4 de l'Enfer si je m'énervais pour un rien... A sa remarque potentiellement visée sur ceux qui viennent foutre le bordel dans un bar, j'écartais les bras en haussant les épaules, un sourire aux lèvres. Qu'est-ce que j'y pouvais moi, de tomber sur un type en rogne contre moi ! Et qui, d'ailleurs, m'avait reconnu ! Ça c'était absolument dingue, surtout quand on comparait une photo de moi actuellement et une autre avec l'équipement complet sur le dos... Enfin, j'imagine que quand quelqu'un bute votre gosse, ça vous reste dans la tête... Peut-être. Qu'est-ce que j'en sais moi ?


- C'pas moi qui ait commencé, m'dame ! Même si ma devise c'est bien que si c'est peut être pas moi qui débute un combat... C'est sûrement moi qui le termine, haha !


La rouquine disparaît alors, avant de revenir bouteilles à la main. Un sourire chaleureux accueille la bouteille de whisky, tandis que j'acquiesce à son devoir d'aller servir un autre type. J'en profite pour finir ma bière, avant de lorgner méchamment sur le breuvage, attendant patiemment —ce qui ne me ressemble guère— le retour d'Elena, puisqu'il faut bien l'appeler par son prénom, qui vient d'ailleurs s'asseoir à côté de moi, ce qui est bien plus agréable. Et ça l'est encore plus lorsqu'elle me sert, sans me demander mon avis, un double whisky ! Trinquant avec enthousiasme, je faillis avaler de travers en entendant sa question. Moi, une vie saine ? Ah, ouais, cette histoire de coaching... Comme si j'en avais quelque chose à faire vraiment. Ce job, j'avais l'impression qu'on me l'avait filé pour me faire péter un câble. J'eus à peine le temps de boire une première gorgée de whisky —Dieu, Satan, ou je sais pas qui, que c'est bon !— qu'elle enchaînait déjà sur une autre, la raison de la bagarre. Je mis à peine plus de temps à réfléchir sur quoi lui dire, un genre de mensonge diplomatique histoire qu'elle ne me prenne pas pour un tueur d'enfant, ou la vérité. Mieux valait sortir le mensonge, ça passerait mieux.


- Bha, je suis pas un très bon coach sportif. Alors disons que tant que je peux foutre ma vie, ou ma mort, tiens, en l'air sans que ça ne me fasse rien, j'en profite ! J'en ai profité vivant, je continue ici, mais, en un peu moins réfléchi encore... Faut dire que ça te donne tout plein de possibilité, de plus mourir !


Je m'interrompis un instant, réfléchissant à la suite. Je ne m'étais pas encore décidé, en fin de compte. En même temps, si je lui disais la vérité, ça allait foutre un froid. Mais si je sortais un mensonge... Je sais pas. Déjà, j'ai jamais su bien mentir, et en plus, j'ai un mauvais a priori sur les mensonges. C'est vrai, quoi, ça a une propension de dingue à vous revenir dans les dents en moins de deux ! Et après, c'est foutu, on est considéré comme le dernier des moins que riens. Et puis, la rouquine —Elena— devait en avoir vu d'autres, des types bizarres. Moi j'étais au service du gouvernement, non mais ! Je tuais pas sans raison ! Et puis, zut, au pire, ça changerait pas grand-chose. Ça serait juste dommage si elle le prenait comme un truc monstrueux, digne des nazis, parce qu'elle avait l'air d'être plutôt sympathique, cette rouquine !


- Ben, du temps où j'étais vivant, je l'ai tué, lui et son fils, en service commandé par le gouvernement des Etats Unis ! J'crois que c'est pour ça qu'il était en rogne. A savoir que je le visais pas expressément, hein, mais il a voulu jouer au héros, et on pouvait pas se le permettre. C'est comme ça qu'on procédait dans l'Armée, et j'ai pas eu le choix.


Ça passe ou ça casse, comme on dit ! En espérant que ça passe quand même. Après tout, y'en avait de pires que moi ici. J'dis pas que je regrettais. Pas même une seule seconde en fait. Mais bon, avec un CV comme le mien, j'imagine que même en se repentant et toutes ces conneries, c'était dur d'entrer au Paradis ! On devait pas y entrer comme dans un moulin ! ... M'enfin. Pour éviter qu'un silence ne s'installe, je repris presque immédiatement la parole, orientant la discussion sur elle, comme pour me disculper.


- Et toi, t'as atterris comment ici ? demandais-je, parlant autant de son boulot de serveuse que de sa Mort.


Au moins, je serais vite fixé sur ses sentiments après coup. Facile de voir quand quelqu'un souhaite éviter une discussion...